Blanche neige en chasse
Mes amis m’ avaient offert l’entrée pour la boîte de nuit la plus populaire de la ville pour mon anniversaire. 20 ans depuis mon divorce, 20 ans sans danser ni boire.
Des hommes de tout âge accoudés au comptoir arrondi et en creux - appel à consommer - et longeant la piste de danse presque vide à l’heure de l’ouverture, leurs yeux fixés dessus, attendant leurs proies. Au fond de la salle, des femmes menues et élégantes me tournant le dos et se déhanchant en rythme face à d’immenses miroirs. Je fus frappée plus tard par leurs âges, des cougars. Seule une très belle et jeune femme dansait. Je l’ai accompagnée tout-de-suite, fébrile, sautillant, tournoyant, riant, parcourant la piste en tout sens, ma robe virevoltant autour de mes jambes musclées.
J’ai bu un verre, puis deux, puis un dernier. Petites voix, telles celles de l’ange et du diable.
« Profites ! la vie est si courte ! »
« Attention à toi ! repaire de petits séducteurs ! »
Je l’ai repéré la première, ou lui. Un homme bien bâti et de ma génération. Visage avenant, yeux bleus et profonds. Me suis retrouvée dans ses bras, avons dansé tous les slows, nous sommes embrassés. Seuls, lui et moi sur la piste, et tous les regards envieux.
Rock ! Ma robe se soulève et on voit ma culotte. Ça m’excite.
Nous avons parlé des heures, debout devant le comptoir. Ne fume pas, ne boit pas, aime la littérature, les arts, le théâtre, comme moi.
- Que cherches-tu ?
- De la tendresse.
- Quand en veux-tu ?
- Immédiatement.
- On va chez toi.
Quand nous sommes sortis - choc ! - une femme ivre est tombée en arrière devant nous, raide comme un piquet, sa tête heurtant le bitume. Inconsciente. Il fut le premier à la secourir. Nous avons attendus les pompiers puis nous sommes éloignés. Je me suis retournée une dernière fois. Deux hommes jeunes et seuls m’observaient en me sortant leurs langues.
Notre nuit dans mon appartement ? au-delà de ce que j’avais pu imaginer. Torride !
Et nous nous sommes revus. Chez moi puis chez lui. Fus saisie : un antre de vieux garçon chasseur. Scènes de chasse encadrées sur tous les murs, gibiers sanglants, bécasses empaillées, habits de chasse, carabines et gibecières accrochés aux porte-manteaux, ses chiens en cage au sous-sol, son vieux chat agonisant sans soins sur le chemin. Aucun livre sinon de chasse à la bécasse. Une pensée m’ a traversée : ça puait la mort et la solitude.
Moi, insatiable, et lui de plus-en-plus vulgaire, avec de plus-en-plus d’exigences : porte-jarretières et guêpières, talons hauts, bâillons, liens, godes. Scénarios sado-maso sans douleurs et pour rire. Paroles crues. Je m’ étais crue au théâtre et avais aimer à en changer les rôles. Je m’étais beaucoup amusée, commençant à m’attacher à lui, addicte ! Il fallait que je m’en débarrasse.
- Je déménage pour me rapprocher de toi.
- Reste où tu es. Tu seras ma petite pute. Plus besoin d’aller chez les échangistes.
J’ai rompu. Lui en ai voulu. Ai pensé me venger. Avec un peu de recul, pourquoi faire quand j’y avais pris tant de plaisir ?
Il m’a relancée. J’ai dit non. Et maintenant j’ai peur. Me croyais ménopausée depuis longtemps. Je suis enceinte, j’ai 60 ans. Trop tard pour accoucher ! Terrifiée ! Car ce n’est pas un enfant que j’imagine, c’est un bécasseau, un oisillon déplumé, trop gras, lourdaud, vulgaire et débile.