Le grand, l’immense, le Goncourt Laurent Gaudé vient d’écrire « Terrasses » ! C’est scandaleux, je vais parler du bouquin sans l’avoir lu, n’en ayant entendu que des extraits justement et donc pompeusement déclamés dans la grande salle du théâtre de Namur durant une heure. « Terrasses », ce sont les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, notamment au Bataclan.
Pour commencer, lors de la discussion avec une journaliste par avance acquise à la cause de l’auteur, la vente de son livre, on apprend que, sur toute la longueur de sa prose, Monsieur Gaudé ne se base pas sur ce qu’il aurait vécu, il n’y était pas ! C’est assez logique puisque ça va mitrailler dans un quartier populaire, là où le sage à la barbe blanche n’a pas l’habitude de se balader. Il a donc brodé à partir des mêmes éléments que vous et moi avons, une espèce de discussion de comptoir mais sous forme de monologue dans un bar littéraire en somme.
Son roman de je ne sais combien de pages nous est présenté comme une vision, un questionnement sur ce qui s’est passé ce jour-là, quelque chose d’intelligent qui nous ferait réfléchir parce que, comme le dit l’auteur, nous, pauvre public affamé, n’avons pas suffisamment de nourriture spirituelle pour nourrir nos réflexions et nous permettre de nous élever. Merci, donc, Laurent, pour la bouffe ! Mais il faut que je te dise qu’elle est avariée et qu’elle pue, la gamelle que tu nous tends. Plutôt qu’un prix littéraire qui nous ferait ouvrir nos petites ailes afin d’atteindre de nouvelles hauteurs philosophiques, on se prend dans la gueule un pavé lourdingue de l’envergure de « l’inspecteur Harry ». Vous voyez, avec des gentils très gentils et des méchants très méchants. Gaudé pousse l’enculage jusqu’à nous décrire les instants — fictifs bien sûr — où cette jeune fille, une gentille donc, se prépare à aller rejoindre son petit ami, probablement un ange lui aussi, sur une terrasse pour y passer une chouette petite soirée. Elle décide de ne pas mettre de soutien-gorge, puis se ravise et en passe un tout de même. Comme dans ces films catastrophes américains où quelques-unes des futures victimes nous sont présentées afin qu’on sympathise un peu avec elles, l’impact de leur injuste disparition ne pouvant ensuite que nous toucher davantage et nous faire détester leurs bourreaux, faisant remonter en nous nos instincts les plus vils, vengeance et haine, et aduler leurs protecteurs, en général des flics (L’arme fatale etc.), des militaires (Independance day, etc .) ou autres fonctionnaires de l’État (Urgence, etc.). La pauvre, peu importe qu’elle portât une brassière ou pas, sera, quelques heures plus tard, abattue par les terroristes, les méchants donc, qui se sentent tellement puissants à pouvoir décider de qui vivra et qui non. Des méchants très méchants dont rien n’explique, sauf peut-être « la noirceur de leur âme », la cruauté sans limite.
Au-delà d’un manichéisme criminel, Gaudé dénature gravement la réalité des faits. Une amie m’a longuement raconté comment ça s’est vraiment passé parce qu’elle s’y trouvait, et aux premières loges encore. Les salopards déterminés et cyniques étaient en fait lents, terriblement lents et on voyait dans leurs yeux pourquoi, ils étaient complètement stones. Il est probable, m’a encore dit mon amie, qu’ils auraient pu être désarmés par un gentil ou l’autre.
Finalement, Gaudé va jusqu’à parler de l’héroïsme de tous les pompiers, des infirmières, des docteurs et des policiers, ceux-là mêmes qui, quelques années plus tard, éborgnaient à tour de bras les gilets jaunes. Le monde serait finalement d’une simplicité qu’on ne soupçonnait plus. Les flics, pris un jour sur deux à tabasser d’honnêtes gens seraient finalement des héros de la même manière que, pour la journaliste, Gaudé serait le sage qui nous montre la voie à suivre peu importe qu’il tienne le discours de « Un Justicier dans la ville ».