Bibliothèque

Une trajectoire exemplaire

De Nagui Zinet

Chroniqué par Un fils de Louis
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     Comme chaque année, je fais le son dans la grande salle du théâtre de Namur. De grandes lectures et des discussions s'y succèdent durant l'Intime festival, incontournable événement littéraire wallon, parce qu'il est délicieux à suivre et aussi parce qu'il est parrainé par Benoît Poelvoorde, ce qui lui assure une belle couverture médiatique.

     Qu'est-ce qu'une grande lecture ? Sylvie, qui assiste Chloé pour l'organisation de l'événement, sélectionne des extraits des livres choisis et les agence afin que leur lecture par un ou des comédiens aspire les 700 spectateurs dans la substance du récit. C'est divin. Sans fioritures, sans trucs techniques, simplement les mots dans la bouche d'un comédien mettent tous les spectateurs en résonance. Intensité pure.

     Cette année, Nagui Zinet venait parler de son nouveau roman lors d'une discussion avec Pierre Lescure. J'ai détesté. Ce qu'a dit ce jeune auteur déguigandé, à côté de son micro, sans prendre la peine d'articuler ses mots, m'a agacé, contrarié, car il donnait l'impression de ne pas être honnête. Il parlait de son travail comme si ça avait été facile et qu'il ne s'y était pas vraiment impliqué mais il était quand même là à le défendre et racontait comment il s'était insinué dans une librairire afin d'espionner son lancement commercial. J'ai eu l'impression qu'il essayait de ressembler à son protagoniste pour plaire, par esprit commercial.

     Le lendemain, il y a eu la lecture, la grande lecture. Il n'y a pas eu un mot de trop, aucun remplissage. Des situations inédites racontées simplement, directement et avec esprit.

     La trame : Bien que leurs effets seront nécessairement désastreux, N commet les actions qui les engendreront. Remplissant son éxistence vide d'un cocktail pour moitié fait de la substance des personnages de ses auteurs favoris et pour l'autre d'alcool, N se laisse glisser, spectacteur, tout le long de son épuisante et désespérée épopée.

     Un extrait : "La mère de ta cousine vient de passer l'arme à gauche. Elle faisait une purée extraordinaire. C'est son petit cousin, cinq ans, qui t'ouvre la porte. Il te dit à peine bonjour et tu ne le salues pas en retour. Ce petit con et toi avez un différend. Une histoire de galette des rois et de fève gagnée sans honneur. Tu l'avais vue trafiquer, ta cousine. Tu n'avais d'abord rien dit. Mais quand il a commencé à se la raconter, avec sa couronne royale, tu t'es détraqué. Après la lui avoir ôtée de la tête, tu l'as déchirée. Tu n'es pas du genre à te laisser faire. Puis tu avais jeté la fève par la fenêtre. A cette époque, il devait avoir deux ans et il pleurait comme un veau. Tu as eu du mal à lui expliquer que tu ne lui en voulais pas."

 


Publié le 17/09/2024
Commentaires
Publié le 18/09/2024
Joker. En lisant l'extrait, j'ai l'impression que voir le monde sous un jour odieux permet d'écrire un roman. On ne fait pas de littérature avec de bons sentiments mais avec des mauvais non plus. Autant ne rien écrire. Je viens de lire deux bouquins nuls que je ne commente pas, j'essaye de ne partager que ce que j'aime (le reste, bah, je fais mine de ne rien voir).
Publié le 19/09/2024
Je suis d'accord avec Myriam, on n'est pas obligé de lire des livres qui ne nous plaisent pas et encore moins d'en parler si ça n'a aucun intérêt. Tant d'excellents livres méritent la lumière.
Publié le 19/09/2024
Mais je n'ai jamais dit que ce livre était un mauvais livre, au contraire. ;-)
Publié le 20/09/2024
Ok, désolée mais moi ça ne m'a pas donné envie de le lire. Oui, on m'a dit qu'il fallait séparer l'homme de l'auteur. Il y en a qui sont insupportables quand ils parlent mais le pire, c'est qu'ils écrivent. Même l'extrait je n'aime pas. C'est peut-être parce que je pratique des "petits cons" lanceurs de pâtes à modeler et des vieux lanceurs involontaires de yaourts et ces chères personnes sont toutes dans mon coeur. Le RIP envoyé à la mère de la cousine réduite à son rôle de faiseuse de "purée extraordinaire" me flanque la gerbe parce que ça ne peut venir d'un colossal manque de coeur ou d'une âme mesquine. Bref, imagine 200 pages sans tendresse comme ça... la torture, qu'irais-je faire dans cette galère? Trajectoire exemplaire loin de mon coeur donc...
Publié le 20/09/2024
C'est l'un de mes chevaux de bataille : "Chacun fait de son mieux". Les circonstances expliquent les comportements. Ce jeune homme qui parle de la mère de sa cousine comme il en parle, on sent très bien qu'il a un très gros découvert affectif. Ce n'est pas tout le monde qui va s'emporter sur un gamin de 2 ans parce qu'il a été privilégié par sa soeur. L'auteur dit un mot de la source du malêtre de N mais juste un mot. Très habilement, il explique sans justifier, sans misérabilisme aucun. J'ai notamment aimé ce livre parce que personne n'est blanc ou noir contrairement à "Terrasses" de Laurent Gaudé. ;-)
Publié le 20/09/2024
"Chacun fait de son mieux ok". Cependant, pour moi, je te l'ai dit, les circonstances n'expliquent pas exclusivement les comportements. Il y a des circonstances atténuantes mais on demeure libre et responsable de ses actes. Si ce n'était pas le cas, ça impliquerait d'enlever la responsabilité pénale à un meurtrier, un homme qui tue sa femme parce que les circonstances expliqueraient que. En clair, il y a une justice qui tranche coupable ou pas. Avoir de la sympathie pour des figures du bien traditionnel érigées en saint, c'est banal mais avoir de la sympathie pour des gens qui font le mal me semble le négatif du même stéréotype en blanc et noir désolée. Si tu regardes le parcours de Lacombe Lucien (excellent entre Louis Malle/Modiano déjà dès 74) on voit bien que les trajectoires sont floues et indécises jusqu'à l'instant du choix: notre liberté. C'est un peu Valjean face à Monseigneur Myriel avec les chandeliers. Il fait un choix à un moment. Là, chez l'auteur dont tu parles: il y a un choix d'écrire comme il le fait, de vouloir être lu et de parler de soi en public: c'est un acte délibéré de vouloir publier. C'est acte délibéré de vouloir lire aussi: on est libre de lire "oui" ou "non". Là pour moi, ça reste "non" en fonction de l'écrit qui ne me donne aucune sympathie pour le narrateur.
Publié le 20/09/2024
Je voudrais revenir sur "Si ce n'était pas le cas, ça impliquerait d'enlever la responsabilité pénale à un meurtrier." Et lorsque la responsabilité est établie, que fait-on en France et en Belgique ? On punit le reconnu responsable en le faisant vivre dans des conditions parfaitement indignes, des conditions qui bien sûr ne le transformeront pas en humaniste. Non seulement c'est parfaitement inutile et dégradant, mais c'est aussi coûteux. C'est d'ailleurs le système le plus coûteux. En Scandinavie, plutôt que de regarder le passé du condamné, on regarde son futur. Comment gérer cette personne qui a commis un crime ? Comment préparer son autonomie et son retour en société ? On ne va pas le punir, mais l'installer dans un autre milieu où il devra se développer, travailler ou étudier et pourra voir, sans limitation, ses proches et sa famille, tout cela dans des prisons ouvertes (c'est un peu plus compliqué dans la pratique mais c'est l'idée). La différence ? 28% de récidive là-bas contre 53 ici. Ce taux correspond à un seul type de crimes (vol et recel) mais globalement le taux de récidive est toujours inférieur là-bas qu'ici. Pourquoi ? Pourtant ce sont des criminels, des méchants qui avaient le choix. Simplement là on a compris et on applique l'idée, somme toute assez logique, que ce n'est pas l'homme qui est bon ou mauvais, à faire le bien ou le mal, c'est une suite de circonstances, dont notamment le milieu criminogène, qui ont amené des effets. ;-) Si on change les causes, on change les effets et on désamorce le système. En France et en Belgique, on transforme les prisonniers en haine concentrée. J'en sais quelque chose, mon beau fils est en préventive depuis le mois d'octobre, visites limitées, arbitraire total, changement de régime carcéral sans justification, etc.
Publié le 22/09/2024
Invoquer les termes liberté/responsabilité pénale n'implique pas de cautionner le système pénitentiaire, son fonctionnement ou ses conséquences. Je ne cherche ni bons ni méchants, je n'y ai jamais cru. Enfin, être jugé responsable de ses actes, pour moi c'est simplement assumer ses actes quitte à le regretter./ Par ailleurs, je pense que par mon travail, je fais assez à mon niveau pour agir sur les causes et changer la donne (et là aussi j'utilise un argument ad hominem). Enfin parmi ceux que je croise qui ont des VDM, tous ne passent pas à l'acte: c'est toujours multifactoriel. Cependant, ma réponse porte uniquement sur le livre: je ne sais rien sur cet auteur à part ce que tu en dis mais comme tout le monde il choisit d'être auteur, de vouloir être lu et de publier et d'écrire ce qu'il écrit + de participer à la promotion de son livre tel qu'il le fait. Or, c'est mon choix de lectrice de n'avoir pas envie de le lire: j'ai d'autres livres dans ma PAL qui m'intéressent et m'épanouiront davantage que cet extrait ne le laisse à penser. Bon dimanche.
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