TDM ETA02 Arrivée à l'île Maurice

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L'avion s'est posé en douceur et, après quelques longues minutes à rouler sur la piste, il a fini par s'arrêter. Sans prendre du tout la peine d'articuler, une hôtesse nous a alors autorisés, à travers le micro le plus pourri de l'univers, à déboucler nos "seat belts". Franchement, à travers le chuintement nasillard des haut-parleurs, je n'avais rien compris de ce qu'elle avait dit. D'ailleurs, personne ne comprend rien de ce que les hôtesses de l'air racontent dans leur micro, c'est sûr. Et c'est normal ; c'est pas fait pour. Si, là-haut, dans les bureaux de l'élite qui supervise gaillardement le transport aérien, les mecs souhaitaient que les passagers comprennent ce que racontent les hôtesses, ils auraient fait monter un son correct dans les avions. Mais non. Je suspecte qu'ils aient sciemment fait installer les pires installations afin de perpétuer le folklore du baptême des nouvelles. Pour leur premier vol, debout sur leurs petites chaussures bien cirées, elles se pointent, habillées d'un joli tailleur bleu marine tout-neuf-impeccable, un petit chapeau posé sur leur sage chignon et là, on leur dit : "Tu veux faire les annonces passager, ma chérie ?" Flattées, elles acceptent, rougissent un peu et puis, au signal de la chef cabine, se lancent de tout leur cœur en prononçant chaque syllabe avec un soin infini, comme une première de classe au cours dramatique lors de l'épreuve finale. Le commandant de bord, prévenu de l'arrivée de la bleue, était aux aguets. Avec son équipe, il attend dans son siège, face au manche à balai. Et là, dès que, transformée en purée électronique innommable, la voix de la brave petite retentit, effondré de rire, il tombe de son siège, plié en deux à même le plancher, terrassé par la drôlerie de la situation. C'est le signal qu'attendaient ses subalternes pour rire et dévorer à leur tour la pauvre petite chèvre de Monsieur Seguin bêlant encore courageusement. Plus tard, elle rejoindra les autres et rira aussi dans ce poste de pilotage ou dans un autre.

Plutôt que d'une tendre biquette, nous avions hérité d'un animal coriace comme le démontrait ce qu'on pouvait percevoir de sa diction plus qu'approximative à travers ce que certains osaient appeler la sonorisation de bord. En l'absence donc de mots intelligibles, je me suis contenté de lire l'indication lumineuse au dessus des sièges "Unfasten your seat belt", j'ai déverrouillé ma ceinture et je me suis levé afin d'ouvrir, avec difficulté le coffre à bagages, et d'en extraire mon sac à dos et la valise, assez lourde quand même, de Josiane. En plein effort, mon regard a été happé par Barbara qui, au beau milieu des gesticulations bruyantes de l'ensemble du fret, toujours assise, se remettait un peu de rouge et lâchait sa crinière de lionne avec une élégance inouïe. Les yeux fermés, elle faisait doucement tourner sa tête de droite à gauche avec des mouvements amortis comme dans une publicité de shampoing avec, en bonus, la peau pâle de son cou qui apparaissait subrepticement comme le haut d'une cuisse généreuse qu'une jupe déloyale trahit sous l'effet d'un vent capricieux. Elle s'est tournée vers nous.

- "Josiane, Patrice ? Vous n'allez quand même pas prendre cette affreuse navette par la moiteur ambiante ? Votre gentillesse m'oblige. Je vous en prie, faisons la route ensemble ! Le chauffeur d'Uncle David passe me prendre avec la limousine noire. Je crois que c'est une Bentley mais je n'y connais rien en automobiles, hi, hi ! Je sais toutefois qu'elle est équipée de la clim. Nous vous déposerons au Jardin de Beau vallon. C'est là que vous descendez, m'a confié Patrice. Oooh, dear Patrice !"

 

Josiane avait préparé notre séjour dans les moindres détails. Elle avait tout inscrit sur un carnet à spirales spécialement acheté pour l'occasion. Elle avait d'ailleurs gardé le ticket de caisse pour le remettre à Jean-Jacques, afin d'être remboursée par la direction des impôts d'île de France. Bref, la navette était dans le carnet, pas la limousine ! A cela, il faut ajouter que Josiane déteste les surprises. C'est sans doute aussi pour ça qu'elle et moi, c'est du solide ; certaine qu'elle est que j'appartiens à la catégorie des prévisibles. D'un autre côté, il y avait la clim. C'est ce qui a fait pencher la balance : "D'accord, Mademoiselle ! Ainsi, nous serons quitte." a fini par dire Josiane.

 

Barbara a franchi les différents barrages administratifs avec la légèreté d'un champion du monde de 110 mètres/haies. Les papiers nécessaires lui tombaient des mains sous l’œil plus que bienveillant des fonctionnaires dont la mine virait à l'exaspération en me voyant apparaître juste derrière elle, leur faisant répéter encore et encore leurs demandes avant de ne pas trouver les différents documents exigés. Vaille que vaille, nous avons quand même atteint le tourniquet qui présentait, selon son bon vouloir, les bagages en soute. Barbara munie d'un caddy - personne ne sait comment elle l'avait trouvé si vite ni où - l'a mis à notre disposition après y avoir déposé son bagage, bien sûr le premier à être apparu sur la large bande de caoutchouc noire.

 

Nos valises identifiées, attrapées et chargées sur le chariot, j'ai interdit que Barbara le pousse, l'assurant que j'avais l'habitude. Josiane, lucide, me l'a immédiatement confisqué en me suggérant, comme seules les femmes savent le faire, d'aller plutôt en avant, repérer la Bentley "d'Uncle David" a-t-elle prononcé avec une impertinence certaine que Barbara a feint de ne pas noter.

 

Une fois dehors, sur le large trottoir bordé de palmiers, j'ai voulu traverser comme je le fais depuis tout petit, depuis que notre institutrice, Madame Maertens, nous avait expliqué : "Sur le bord du trottoir, les enfants, vous regardez très attentivement sur votre gauche pour vous assurer qu'aucun véhicule ne s'approche. Quand la voie est libre, vous vous engagez, puis, une fois sur la chaussée, vous tournez la tête du côté opposé pour franchir la seconde voie de circulation." C'est exactement ce que j'ai fait... Sauf que je n'ai pas pu atteindre la seconde voie de circulation car, sur ma droite, un terrible coup de frein a retenti juste avant que je sois percuté violemment par un véhicule. Je n'ai repris connaissance que plus tard dans l'ambulance, un infirmier et Josiane à mon chevet.

 

- "Ne t'inquiète pas mon chéri ! Tu vas juste faire un petit check-up à l'hôpital mais le docteur pense que tu n'as rien, juste une petite commotion. Nos bagages seront amenés à l'hôtel par un taxi que j'ai loué. Barbara m'a semblé très contrariée lorsque tu as été renversé. Elle n'a pas pu s'empêcher de lâcher "I don't believe it. So stupid" et elle s'est évaporée, accompagnée par deux hommes, plutôt louches, je trouve, dans une Bentley noire."

- "Tu me l'avais pourtant dit, qu'à Maurice, c'était la conduite à gauche mais j'ai été distrait. C'est vrai que Barbara a dit "so stupid ?"" j'ai répondu.

 

L'air désolée, Josiane a confirmé en secouant la tête de haut en bas, les yeux fermés sous ses sourcils à leur zénith.

 

Dans l'établissement universitaire hospitalier qui nous a accueilli, la jeune doctoresse fût très aimable, soutenante même, tout au long des examens successifs auxquels j'eus droit. Lorsque arriva le moment de me rhabiller, un billet tomba de ma poche. " Rendez-vous demain 14 heures à "Providence" au marché... Attendez qu’un contact vous remette une clé... Soyez prudent... Frères Suarez à vos trousses." y ai-je lu.

 

"Vous semblez inquiet mais tout va bien. Bon pour le service" m'a-t-elle dit alors, souriante, mes radios en main, alors que je remettais le billet en poche. Nous avons pris congé, Josiane et moi, vers15 heures pour nous rendre en taxi au jardin de beau vallon. Sur la route, je lui ai expliqué toute l'histoire de Papy Albert en lui montrant le mot qu'un inconnu avait du glissé dans ma poche à mon insu. Sans doute à cause de notre faim et de notre fatigue, nous n'avions plus de place pour la peur que la lettre mystérieuse aurait du éveiller en nous.

 

Des nuages étaient apparus dans le ciel et notre voiture roulait sous une averse soutenue. A notre arrivée à l'hôtel, un serveur nous a très aimablement confirmé que nos bagages avaient été apportés dans notre chambre et nous a demandé si nous souhaitions manger quelque chose, pourquoi pas des ourites ? Nous avons suivi ses conseils et après un cocktail pris au bord de la piscine, en amoureux, nous nous sommes régalés des fameux poulpes locaux en riant, très complices, devant une statue plus ridicule que monumentale.


Publié le 27/07/2022 /
Commentaires
Publié le 30/07/2022
C'est vraiment super Patrice, au-delà d'une narration corrosive sur la qualité sonore des annonces dans l'avion, on est vite immergé de nouveau dans l'histoire sur le plancher des vaches, avec une rivalité entre Barbara et Josiane qui capte toute l'attention. Au point même d'être autant surpris par cette voiture qui vient renverser notre pauvre héros, et plus encore de comprendre que Barbara serait de mèche avec les Frères Suarez. Ce message qui tombe de la poche est aussi très habile. A fond dans l'histoire, merci beaucoup.
Publié le 30/07/2022
C'est moi qui te remercie de tes encouragements ! ;-)
Publié le 31/07/2022
Très très bel épisode ! Bien écrit, imaginatif, et des perso bien implantés ! Merci Patrice :)
Publié le 31/07/2022
Merci mille fois, Allégoria ! ;-)
Publié le 31/07/2022
Merci mille fois, Allégoria ! ;-)
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