Pour le reste, c’est vous qui savez.

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       Lorsque j’ai appris que Cathy était atteinte d’une maladie parmi les plus vicieuses, la sla — permettez que je n’y mette pas de majuscules —, je dois reconnaître que j’ai été habité par un double sentiment.
Le premier était que je ne me suis pas senti extrêmement concerné.
Bien sûr, Cathy était une ancienne camarade de classe. Je l’avais d’ailleurs trouvée plutôt mignonne lorsque nous fréquentions la même école et les mêmes surboums, mais nous n’avions jamais été vraiment proches. Nous nous étions même complètement perdus de vue au cours des échéances de la vie adulte, comme on l’appelle. Le manque d'empathie que je constatais a appelé mon second sentiment, je me suis trouvé moche — je ne sais pas comment les autres ont conscience des autres autres. Personne ne sait ce que chacun éprouve. On est tout seul à se demander si on fonctionne correctement, c’est-à-dire comme les autres, dont on ignore tout. — et c’est moche de se sentir moche.
Quelqu’un a eu une idée géniale, consommons-nous ! Plutôt que se trouver pas terrible, bougeons-nous ! Agitons-nous ! Toute cette énergie qui nous consume, focalisons-la vers une action collective qui soulignerait notre soutien à Cathy ! Croisons les effluves ! Cette idée a donné la fête du 30 septembre dernier à l'Athénée et son prolongement, la visite de la citadelle après un bon repas à Namur en février dernier. C’était bien, ces moments ! Le premier vertigineux, le second plus intime. Ils ont donné du bonheur à Cathy ! On a très bien fait.
 
       Aujourd’hui que j’apprends le décès de Cathy, je ne me sens pas plus concerné car les autres, ce sont les autres. C’est comme ça que je fonctionne et je n’y peux rien. Mais je ne me trouve pas moche pour autant parce que j’ai pu, personnellement ou avec d'autres, donner des moments de lumière à Cathy. C’est ce qui me sauve ! Quand j’ai pu, je l'ai fait. Maintenant, il n’y a plus rien à faire. C'est trop tard. Le délai est passé.
 
       Lorsque vous apprendrez ma mort, ne vous inquiétez pas de ne pas être vraiment effondré ou simplement triste. Je crois que c’est normal. Pour le reste, c’est vous qui savez.
 

Publié le 14/04/2024 / 8 lectures
Commentaires
Publié le 14/04/2024
Un texte court mais qui soulève de grandes questions. Il semble effectivement que nous soyons plus empathiques avec les personnes proches plutôt que dans un second cercle ou même des inconnus. I je me dis comme toi que se poser la question et de se remettre en question est déjà un réflexe humain, et que si on prend notre part d’action alors effectivement il y a moins à regretter sachant que nous ne pouvons absolument rien contre l’arbitraire. Merci pour ce texte Patrice.
Publié le 28/04/2024
Superbe ce texte. Il remet les questions éternelles au centre de l’écriture. La proximité d’autrefois, les camaraderies, les retrouvailles de loin en loin, les souvenirs communs, l’indifférence dont on s’étonne et la mort qui apparaît dans l’ordre des choses. Quelle poisse cette maladie et le diagnostic est d’une violence... parfois seulement 6 mois. C’est tentant d’être dans le déni de se dire que c’est juste un trouble articulatoire… Tout ça pour terminer avec une appli de CCA quand on parvient à la mettre en place et à recevoir les patients rapidement. 6 mois c’est le laps de temps pour oublier d’appeler un ami et le temps dans lequel une personne qui vient de se prendre ce diagnostic en pleine face peut s’éteindre. Comme tu dis, pour le reste c’est vous qui voyez… je trouve que ce serait dommage de s’éteindre avec des regrets.
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