Notre amourette a perduré des jours, des semaines et des mois avec des instants, trop rares, de paradis verts ou couleur tableau de bord, d'autres d'enfer. Ce qui me tenait la tête au dessus de la surface du désespoir, c'étaient les mots que Martine écrivait sur notre journal intime. A raison d'une ou de deux fois par semaine, ils disaient le maximum de ce que pouvait dire un ange, me cajolant avec retenue, me murmurant ce que j'avais besoin d'entendre et que, sans doute, j'induisais, dans une certaine mesure Ils me procuraient juste ce qu'il fallait de méthadone pour maintenir dans l'addiction le toxicomane que j'étais devenu et qui attendait la dose de son héroïne, celle qui, pour quelques minutes, lui donnerait la certitude qu'il n'était pas rien aux yeux stainless steel de sa déesse, mon overdose de tendresse ou de sexe. Le monde adulte fait évidemment la part des choses entre les deux concepts, tendresse et sexe, mais celui des adolescents ? En tous cas dans mon univers, il n'y avait pas de différence. Nous nous retrouvions, cachés, et nous nous aimions. Ne lui déplaise, quand, serrés, nous dansions, nous nous aimions, le temps d'une silencieuse chanson. Dois-je avoir honte d'avoir joui tout habillé sur son corps non moins vêtu ? Ai-je manqué de courage ? Avais-je peur d'aller trop loin ? Ma soif de tendresse surpassait-elle celle d'un coït ? Espérais-je qu'elle cède ? On y revient, « qu'elle cède »*. Non, je ne le voulais pas mais peut-être elle, le désirait-elle. Peut-être voulait-elle garder son statut d'ange, de petit chaperon rouge pendant que, ponctuellement, je deviendrais le loup. Mais je n'étais pas un loup et je n'ai jamais été un loup, et je n'aime pas les loups. Je les déteste avec leurs gueules de beau ténébreux, de pas rigolos, de vrais mecs. Les Alain Delon, je les trouve nuls ! L'une de mes amies les appelle les « collectionneurs ». On les nomme aussi souvent "les tombeurs". Je ne suis rien de tout ça ! Bien sûr, je n'avais simplement pas compris ce que, probablement, Martine attendait de moi. Mon ignorance, ma candeur, quant à certaines de ses inavouées attentes, m'a sauvé d'un costume pas à ma taille, dont je me serais vêtu. Ma niaiserie, ou ma fraîcheur, comme vous voudrez, m'a empêché de me perdre. Je n'étais simplement pas le garçon que Martine cherchait et, elle comme moi, nous refusions de le reconnaître, en tous cas, nous nous donnions encore un peu de temps avant de trancher. Si j'avais su, si j'avais pu, je me serais travesti en tout ce qu'elle aurait voulu. Je me serais transformé en son prince charmant si j'avais eu la moindre idée de la gueule et surtout des manières qu'il aurait du avoir. Mais je ne comprenais rien et finalement, ça m'a sauvé, je crois, partiellement.

 

* référence au texte "Les carrières"


Publié le 09/11/2022 /
Commentaires
Publié le 09/11/2022
Tu utilise la métaphore de la drogue pour mettre en avant la dépendance à l'amour, sans savoir comment l'on va se payer la prochaine dose, ni son intensité, ni même si prochaine dose il y aura... ce sont toutes ces incertitudes de l'après qui rendent si fragile l'instantané et qui rendent plus durables l'addiction. J'aime cette force et cette intégrité de rester soi, pour mieux devenir différent, si différent des stéréotypes. "Devenez-vous, tous les autres sont déjà pris", disais je ne sais plus qui... merci Patrice.
Publié le 09/11/2022
ce qui tendrait à me faire penser que je ne m'exprime pas si mal, peut-être même de mieux en mieux, si j'en crois Fabien. Merci, Léo ! Mais quelle est ton activité professionnelle qui t'a tant dévoré ces derniers jours ? ;-)
Publié le 10/11/2022
Et il a bien raison Fabien. Je suis très impliqué dans une ONG française.
Publié le 10/11/2022
Bonjour Patrice. Un texte touchant au plus proche de la vérité des personnages. Moi il me parle et me ramène à mes années adolescentes ou je me retrouve dans ton personnage, à peine né, imparfait, ne sachant ni qui il est, ni ce que l'on attend de lui. Tu tiens ta patte..Plus de concision, plus de lourdeurs dans le texte. Tu respectes bien le point de vue omniscient du narrateur personnage principal sans être pour autant dans l'ostentation. J'aime bien ton format de phrase, ça coule parfaitement.. Et puis ce petit plus nostalgique (sans sombrer dans le pathos), fonctionne bien. Des mots simples servent au mieux l'émotion. Pour moi, à quelques détails, ton texte est très abouti, tant dans le fond que la forme.
Publié le 10/11/2022
pour parvenir à poursuivre l'écriture de mon récit thérapeutique -mais ne le sont-ils pas tous ? J'avance grâce à toi, grâce à vous. C'est ridicule car cette rédaction ne sera probablement lue que par mon fils et quelques amis mais j'ai quand même besoin qu'on m'encourage, comme quoi, je ne suis pas encore tout à fait adulte. Je t'embrasse, Fabien. ;-)
Publié le 10/11/2022
Écrire est l'acte le plus insensé et le plus politique qui soit. Et puis, écrire pour qui, soi, les autres? Ça se sont souvent les opportunités qui décident. Moi pendant longtemps j'ai cru que rien de ce que j'écrivais n'était éditable.. Écrire, écrire, écrire.. le travail, réécrire, jeter, relire, il n'y a que cela qui paie. Parvenir à l'écriture la plus authentique sans les falbalas et autres gadgets censés améliorer ton récit. Tu es en très bonne voir mon ami. En témoigne la qualité de tes textes. Pour cela tu as tout mon soutien. Un grand bravo
Publié le 10/11/2022
Je rejoins tellement Léo et Fabien ! Il y a du vivant, de l'innocence, de l'animal et du vrai dans la narration de cet ado. Pour avoir suivi quelques milliers de jeunes (14-22 ans) durant des années, tu es dans leur narration, dans leur émotions, et donc, tout en parlant de toi tu parles bien de cette âge-là. Le coup du loup... est amusant et très révélateur, à ce propos, car les loups sont l'exact contraire des collectionneurs ou tombeurs. Ils sont MONOGAMES !!! L'exact contraire d'un Delon aussi puisqu'à la différence de ce zozo (qui a préféré son succès à son fils !), un loup mâle doit être efficace à tout niveau, et notamment familial. Or, en choisissant l'exemple du loup, c'est typiquement l'ado qui parle alors qu'à l'évidence il n'y connait rien du tout en loup ! Quant à qui te lira... là n'est pas l'important. J'ai à peu près 8000 lecteurs pour une revue que j'écris, et 6000 pour l'autre. Et pourtant, je mets encore plus d'énergie dans des écrits comme ceux ici publiés, alors qu'il n'y a que quelques rares lecteurs. Que comprendre ? Je n'en sais rien ! Mais je reprends les mots de Fabien : Écrire, écrire, écrire.. le travail, réécrire, jeter, relire, il n'y a que cela qui paie.
Publié le 10/11/2022
et ce coup-ci le texte doit être vraiment pas mauvais car tu n'y trouves rien à redire sur le plan formel. Mais sache-le, j'apprécie les remarques et les propositions, les tiennes notamment. J'ai failli ajouter un chapitre dans l'histoire de Lucy, le robot, sur ton idée.
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