Elle était assise près de moi et sur la route vers le restaurant chinois je sentais les parfums qu'elle exhalait. De cela, je me rappelle, de mon exaltation aussi, du soleil aussi, de son sourire et de sa voix un peu grinçante aussi mais de ce qu'on s'est dit, je n'en ai plus la moindre idée. De nos échanges à ce moment et durant ce qui me tord le cœur d'appeler notre amourette, je ne me rappelle que de quelques phrases isolées. Et vous, vous rappelez-vous de vos mots et de ses mots d'alors ? Comme un restaurateur d'art retrouve les coloris disparus d'une fresque, à partir de notre carnet intime, j'aurais peut-être pu reconstruire nos paroles, mais voilà, je l'ai brûlé après l'avoir déchiré en mille morceaux. On dit souvent que les amoureux sont dans un monde à part, dans une bulle qui leur est propre. Et moi j'ajoute que lorsqu'on s'en éloigne, au cours des années, au cours de la noyade, elle se referme, hermétique. Ils ne sont pas nombreux ceux qui tentent d'y remettre le bout de leur nez, par peur, par paresse, par mépris ? Ils n'ont pas forcément tort. Martine n'a pas forcément tort car le retour en arrière, pour moi en tous cas, est terriblement douloureux. C'est cruel de multiplier les "si". Ça peut rendre fou. Mais pousser les choses sous le tapis, c'est pire, ça rend con.

 

La façade rouge vif recouverte d'un charabia chinois en couleurs dorées et la discrétion turquoise de Martine s'accordaient mal. Accrochés à un sino-simili toit, les lampions écarlates, dont les bougies avaient été remplacées par des ampoules pour d'évidentes raisons pratiques, n'arrangeaient rien. Mais de notre bulle, ces détails étaient invisibles, nous sommes rentrés, main dans la main. Le maître d'hôtel est arrivé et nous a demandé à quelle table nous souhaitions être installés. J'ai laissé Martine décider. Une fois assis, trop impatient, j'ai dégainé mon cadeau mais à peine avait-elle eu le temps d'ouvrir l'emballage qu'on est venu nous donner la carte et nous demander si nous voulions un apéritif. Elle a commandé un Kir crème, je l'ai suivie. C'était un bracelet avec un cœur, le tout en argent. On nous a rapidement amené nos coupes et on s'est enquis de savoir si nous avions déjà choisi un plat. Elle a choisi le 95, j'ai pris le porc aigre-doux. Je me suis levé et j'ai passé le bracelet autour du fin poignet opalin avant de me rasseoir immédiatement, convaincu que toute démonstration ostentatoire de tendresse serait malvenue. J'étais face à elle et je la regardais parler. Elle qui ne se maquillait jamais avait dérogé, avec retenue, à ses habitudes. Son visage, ses joues, ses paupières, ses lèvres avaient un teint différent, plus artificiel, absolument irrésistible à mes yeux. Je la trouvais plus belle que jamais. On nous a apporté nos plats et une carafe de vin rosé.

 


Publié le 21/11/2022 /
Commentaires
Publié le 29/11/2022
J'ai beaucoup aimé la comparaison avec le restaurateur d'art, et je me dis que tu étais un sacré beau restaurateur d'histoires, avec la même patience et avec la même application à renouer avec l'authenticité des instants, couleur après couleur, par petites touches d'un amour inconditionnel... je file lire la suite, à plus tard.
Publié le 29/11/2022
Je ne sais pas si le filon sur lequel je suis tombé m'amènera à du fer ou à du diamant, mais peu importe. Je regrette de ne pas avoir archivé d'une façon ou d'une autre les histoires de mon papa. J'archive les miennes pour mon fils. J'espère qu'elle intéressera d'autres personnes, mais ce n'est finalement pas essentiel. Je dis ça mais sans vos encouragements, je me serais peut-être déjà arrêté. Merci énormément !
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