Dimanche matin, j'ai été très impressionné de me voir me réveiller à 6h30 pile. La précision de mon horloge interne est incroyable... mais pas forcément utile lorsqu'on s'est couché à 3h30.
Me voilà donc éveillé et un peu stressé car je vais prendre l'avion et ça c'est déjà source d'inquiétude, mais en plus, je vais le prendre dans un pays dont je maîtrise très modérément la langue. Je sais que mon amie Tammy, que je vais rejoindre à Cincinatti, a fait 6 heures de route pour venir me chercher, je tiens à passer ces quelques jours à découvrir l'Amérique profonde avec elle sans compter que ce serait con de jeter les 348 Euros du billet à la poubelle, donc je ne peux pas rater cet avion.
 
     L'avion est à 10h40, American Airlines me demande de me trouver à l'aéroport deux heures plus tôt et il faut compter une heure de taxi de l'hôtel à LGA, aéroport de Laguardia, donc, départ à 7h40, c'est large. A 7 heures, je suis prêt et au pied de l'hôtel. Quand j'ai fait mon check out, l'employé a offert de m'appeler un taxi. Franchement, il était super, juste le même que dans "Pretty Woman".
 
     J'arrive à LGA à 7h45, je paie le taxi et je rentre dans l'immense hall de l'aéroport. Il y a des employés qui sont là, pour renseigner le public alors je dis à l'un d'eux "Good morning ! My English is very bad. I do not know this airport. I have to take a plane to Cincinatti (prononcez sinsinéééééédi). Where do I have to go ?" Elle me répond en regardant ma valise rouge "Do you want to take your bag with you ?".
- "Yes, of course."
- "So go there !" et elle me montre la file de sécurité.
- "Well, I mean, in the same plane" j'ajoute.
- "Yes I guess" termine-t-elle.
Le petit malentendu venait d'apparaître et il allait prendre des proportions innimaginables.
 
     Je vais dans la file indiquée, je scanne la réservation que Jared, mon assistant pour mon travail de sonorisateur, avait, la veille, finalisée et imprimée. J'arrive devant la "line 6" où un employé hurle "shows off, please !" en même temps qu'un autre crie "Computers pads, I-phone out !". "Use différent bags !" rajoute un troisième. Les gens sont assis par terre pour enlever leurs godasses, tiennent comme ils peuvent leur veste en enlevant leur ceinture sans lâcher leur I.D. (prononcez Aïe Diii). On sent l'énervement. Ma valise rentre tout juste dans l'un des bacs gris. "Take the bags under !" Ca crie de partout en même temps. Je ne comprends rien du tout mais je vois les autres faire et je fais de mon mieux pour le faire aussi bien et aussi vite que possible. Mes bagages, répartis sur trois bacs, avancent sur un rouleau, le premier avec mon sac à dos, le second avec ma veste, mon pull, ma ceinture et mes papiers et le troisième avec la valise rouge. Un employée noire très grosse avec des lunettes m'engueule mais toujours avec un "Sir" à la fin de la phrase. "You had to take your computer off the case, Sir !" Je lui réponds que je n'avais pas compris qu'il fallait aussi vider ma valise, qui dans mon esprit irait en soute, mais ça, je ne le dis pas parce que je ne pense pas que ce soit un problème et parce que je ne sais pas comment dire soute en anglais. Elle essaie d'ouvrir mais parce que les rebords du bac gris sont trop hauts, elle n'y parvient pas alors, la valise toujours dans le bac et les trois verrous tournés vers elle, elle aboie "Open the case, Sir !" J'essaie mais je n'y arrive pas. Je veux sortir la valise du bac, elle pose les mains dessus pour m'en empêcher. Je tourne le bac pour avoir un meilleur accès et je parviens à ouvrir deux des trois verrous. Elle répète avec toujours le même entêtement stupide "Open the case, Sir !" Les gens affluent autour de moi. Ca passe à gauche, à droite. Je dis "I have to take the case out of the bag". "You can't, Sir !" Je commence vraiment à m'énerver face à cette salope. Elle voit que je ne vais pas y parvenir mais elle ne fait absolument rien pour m'aider, pire, elle en rajoute encore avec ses ordres visiblement impraticables. Je parviens finalement à ouvrir alors, elle sort l'ordinateur et, avec ses gants, trifouille dans mes chaussettes sales pour sortir aussi la petite mixette. "No électronic devices in the case, SIR !" Elle voit ma canette de mousse à raser. "For the crash, Sir ! You can't take that with you !"
- "But, Yes I can"
- "No Sir, you can't !" Et boum elle la fout à la poubelle.
Elle voit mon Leatherman, alors, là, elle s'énerve.
- "It is a knife, Sir !!! It is a knife ! You can't take a knife with you. For the trash, Sir !"
Là, je n'en peux plus je monte le ton. "No, you can't do that.
- Yes I can Sir. You can't take a knife with you
- Yes I can. I allways do it ! I did it in Belgium
- In Belgium, maybe but not here ! You can't take a knife with you, Sir
- I think...
- You can't take a knife with you, Sir !
- There must be a kind of misunderstanding...
-"You can't take a knife with you, Sir ! You can't take a knife with you, Sir ! You can't take a knife with you, Sir ! You can't take a knife with you, Sir ! You can't take a knife with you, Sir ! You can't take a knife with you, Sir ! You can't take a knife with you, Sir !"
Ça, c'est terrible ! L'autorité est là, devant vous et refuse obstinément d'écouter quoi que ce soit. Je me sens révolté, impuissant devant le pouvoir absolu de cette salope, y'a pas d'autre mot. Elle pouvait abuser de son autorité et et à l'encontre d'un blanc en plus. Ça pouvait même paraître légitime.
- "If you don't let me say what I have to say...
- "There is nothing you could say that would change anything because you can't take a knife with you".
Pendant qu'elle parle elle chipote le Leatherman et elle en sort un deuxième et un troisième couteau avec un regard gourmand, heureuse que l'outil confirme que non seulement c'est un couteau que je ne peux pas emmener avec moi, mais deux, trois... Elle continue à chipoter, espérant en sortir un quatrième.
- "This bag has never been intented to be in cabin !"
Là, elle comprend mais ne s'avoue pas encore vaincue. "At what time is your plane, Sir". Je lui réponds que c'est à 10h40. "So you are too late ! You should have been recorded it more than two hours before the take off". Je souris une peu. Elle regarde sa montre, il est 8h15. "You will have to pay for registering your case, Sir"
- "I allready paid 35 dollars in line"
Elle appelle un gars qui tient la valise en main. Elle a tout retapé dedans n'importe comment. Je récupère une chaussette sur le comptoir.
- "Close the case, Sir !"
Il y a le vinyle que j'ai acheté à New York sous la mixette. SI je ferme comme ça, il est mort. Je lui demande si je peux prendre la valise et la poser par terre. Il me la tend. Je la pose et je range mes affaires. Je ferme et je me retourne vers la salope
"And what about my shaving case ?"
"It is too late, Sir"
Le gars m'accompagne à l'extérieur de la zone de sécurité. J'enregistre mon bagage auprès d'un homme de couleur qui fait son travail en prenant le temps nécessaire pour que je comprenne. Je peux enfin, retourner dans la file et tout recommencer mais cette fois, sans la valise rouge en main. Je sais qu'elle sera en soute, enfin, je l'espère.
 
     Je me rends à la "Gate 29". Deux heures trente à attendre et je ne peux pas fumer. I Wish I could smoke a cigarette so hard ! Bon, tant pis, je vais manger local. La file est très longue, c'est très bien, j'ai du temps à tuer. Je demande un sandwich with cheese, bacon and eggs. Le gars me demande mon nom... Bizarre ! Je ne comprends rien. On n'explique rien ici. Je réponds, "Patrice". Je reçois mon café, absolument pas bon et puis je comprends que les personnes qui préparent les repas écriront le nom du client sur le sachet de sorte que l'employée puisse appeler. Je crains de ne pas comprendre parce que je n'ai aucune idée de comment ils vont prononcer Patrice, alors je reste très près de là où les annonces seront faites. A côté de moi, il y a une fille qui ressemble à Olivia Newton Jones avec une copine. L'employée arrive et crie "Olivia !", mais c'est son amie qui se précipité pour récupérer son sandwinch, elle répondra une minute plus tard au nom d'Elizabeth. "Petrissi". Ça doit être pour moi. Contrairement aux autres qu'il faut appeler deux ou trois fois, je réagis immédiatement. J'étais dans les starting blocks, il faut dire. Elle apprécie et me le montre par un sourire en me tendant mon repas.
 
     Ensuite, rien de spécial à raconter jusqu'à ce que je monte dans l'avion. Un personnage de "Colombo" reste debout pour ma laisser m'installer sur mon siège. Il aurait pu être une ancienne star de cinéma, un danseur homosexuel qui tue celui qui menace de dénoncer ses inclinaisons intimes. Le gars doit avoir 65 ans, il est dégarni mais pas tant que ça et est roux. Il n'est pas souriant du tout. Je range ma veste, mon pull et mon sac à dos dans la coffre au dessus des têtes des passagers et je m'installe en le remerciant de sa patience. Il ne répond pas. L'avion est petit, 22 rangs de 2x2 sièges. Nous décollons. Il fait froid.
- "I didn't expect it would be so cold, may I ask you to stand up for me to take back my coat ?
- "Wait a moment. They should have forget to stop the cold air but the will do it."
Rien ne se passe dans les cinq minutes suivantes alors spontanément, il se lève et, en me montrant le coffre, me demande si je souhaite qu'il prenne mon pull pour moi. J'accepte.
- "Where are you from ?
- I'm from Belgium."
- Ho ! I went in Belgium, in Malines, there is there a really interesting holocaust museum."
On parle un peu. Je ne dirais pas que ce monsieur était charmant mais il était aimable. Il passera ensuite tout le vol, de deux heures, à écrire ce que je suppose être une fiction qui se passe en juin 2024 et qui tourne autour de la question juive. Il est sans doute juif lui-même.
 
     Nous arrivons à Sinsinééédi ! I have to pee. Les "restrooms" sont nombreux et lorsque je rentre, je vois un type qui pisse en regardant un match de base-ball sur son smartphone posé sur le rebord. Quel pays !
 
     Je suis un peu inquiet à l'idée de retrouver Tammy. Nous nous sommes vus il y a 40 ans et, récemment, nous nous sommes retrouvés sur Facebook. Nous n'avons aucun quotidien commun, nous ne savons presque rien l'un de l'autre, ces retrouvailles, je le crains, risquent d'être artificielles. Mais lorsque je l'aperçois, les larmes me montent, je suis un émotif. Nous nous serrons dans les bras. Je suis très ému, elle est réellement heureuse des ces retrouvailles.
 
     Ma valise rouge apparaît rapidement sur le tapis roulant. Le Leatherman s'y trouve et le vinyle n'est pas endommagé. Nous nous dirigeons vers la voiture de mon amie. Je fume une précieuse cigarette. Nous sommes tous les deux conscients des défis que ces retrouvailles impliquent.
 
     Nous roulons mais le trafic est bouché, nous ne parviendrons pas à voir le spectacle prévu dans lequel Sonia, l'une de ses amies joue. On s'arrête dans un McDo et là, c'est un film des frères Coën dans lequel je rentre. Indescriptible ! C'est rural ! Les gens sont vraiment très ruraux. Tammy me dit que, oui, le Kentucky, c'est rural mais que l'Arkansas, l'est bien plus encore. Prononcez "Arkènsa".
 
     Nous sommes ensuite accueillis chez Cara, une très grande amie de Tammy. Sur sa terrasse, nous parlerons d'amour, de la toxicité des parents, des soins des santé ici et ici, de la gestion de l'argent public, du bourbon, du papa de Cara à qui je ressemble effectivement beaucoup. On se sent vraiment en confiance. C'est un vrai plaisir de parler avec elles deux même si c'est très fatigant de ne plus parler qu'anglais. Du coup, je commence à penser en anglais. Je suis sûr que si je restais avec Cara et Tammy, trois mois, je parlerais couramment.
 
     Enfin, la soirée dans un restaurant comme on ne les imagine pas chez nous. Sur un zoning commercial immense, des immeubles immenses sont cernés de parkings immenses qui accueillent d'immenses voitures. La serveuse qui nous accueille est par contre très menue, elle se tient très droite. Elle est blonde et doit avoir 18 ans. Il y a quelque chose de vraiment aimable mais aussi quelque chose d'outrageusement rigoureux. Le service est toutefois parfait, elle est attentive, efficace, ne commet aucune erreur. Je ne comprends rien au menu (prononcez mèniouuuuuuuuu). Je propose qu'on partage les plats "Oh just like tapas !" dit Tammy. Et on fait ça et c'est très bon. On parle en buvant... Ah oui, là, il y a eu une petite confusion ; je voulais offrir un jus de bagarre en apéro mais finalement, je suis le seul à en avoir reçu un, d'une quantité bien trop grande. Nous partagerons le verre. Cara et Tammy ne me refusent rien. Je suis l'invité, sorte de vache sacrée pour qui tout est permis.

Publié le 08/10/2022 /
Commentaires
Publié le 08/10/2022
Merci pour ton texte très vivant Patrice même si la mésaventure de l'embarquement ne peut que laisser un gout amer. Avec les attentats, ils ne badinent avec rien. La belle aventure commence avec Tammy et Cara, de magnifiques moments en perspectives j'en suis sûr, à les lire prochainement je l'espère.
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