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Visite en milieu carcéral.

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Le milieu carcéral, pour la plupart d’entre nous, c’est un peu comme les sables de Tchara, on en a entendu parler, mais ce n’est pas pour autant qu’on a envie d’y mettre les pieds. "Vous n'aviez jamais réellement entendu parler des sables de Tchara ? Moi non plus, je dois dire, finalement un peu comme des prisons."
Les choses changent lorsque le grand horloger, là-haut, décide de vous offrir la visite, à vous ou à l’un de vos proches. Alors l’exotisme du monde pénitentiaire mute en un univers bétonné, mi-surréaliste, mi-absurde, mais intégralement révoltant sans que vous puissiez, ne fût-ce que d’un cheveu, élever la voix.

Faisant partie des curiosités, les pannes, dans les prisons, ont la particularité d’être connues avant de se produire. Ce mercredi, un peu par hasard, l’épouse d’un détenu a appris qu’elle ne pourrait pas apporter le surlendemain un peu de linge à son mari à cause d’un mystérieux malfonctionnement informatique rendant aussi impossible de simplement le voir, à moins d’en avoir préalablement fait la demande.

Pour les visites dans cette prison, en principe, les extérieurs attendent et puis, chacun à leur tour, peuvent retrouver pour un moment le proche sous les verrous. Vendredi dernier, un homme âgé attendait. Il était arrivé parmi les premiers dans la file après avoir traversé Bruxelles en tram et la périphérie en bus Tec. Devant le guichet, une fois l’heure venue, il a demandé l’accès à la préposée. « Sans demande de rendez-vous préalable, ce n’est pas possible, Monsieur. » Elle n’avait pas oublié le « Monsieur », ce mot qui permet à n’importe quel flic ou maton d’être absolument inattaquable tout en étant odieux ! Du haut de l'arbitraire de son pouvoir disproportionné, moyenâgeux, il a le droit de mépriser, d’humilier, d’écraser n’importe qui à condition de terminer par le mot magique, administrativement parlant, « Monsieur ».


Le pauvre homme ne comprend pas. Il sait très bien comment se font les visites. Il connaît la procédure, car il vient régulièrement. Très courtoisement, malgré l’affront qui vient de lui être fait, malgré l’absolue antipathie dont il vient d’être victime, il dit au masque devant lui qu’il ne comprend pas, mais déjà le visage qui ne s’était jamais ouvert s’est refermé et, cuirassé par l’intouchabilité que lui confère son uniforme, le nie et s’adresse au suivant dans la file.

Il faut croire que les képis sont plus proches de l’animal que les parents des criminels, car la jeune femme noire qui suivait l’homme perdu ne répond pas. Elle voudrait s’annoncer et présenter sa demande de rendez-vous, car elle aussi a passé beaucoup trop de temps dans les transports en commun pour retrouver son frère, son amoureux, son oncle… Mais elle ne dit rien parce que parler, ce serait partager la grossièreté de l’agent pénitentiaire, cette femme bien comme il faut au service du rebut de la société. Parler, ce serait partager l’indifférence jetée sur ce vieil homme tranquille. Parler ce serait, pour un chien, ne pas voir qu’il gêne le passage dans l’étroit corridor parce que même un chien a plus d’empathie que cette femme bien comme il faut au service du rebut de la société.

Alors le pauvre homme fait demi-tour pour se diriger vers la porte de sortie. Il n’est pas seul, les parents des rebuts dans la salle d’attente ont vu, entendu et écouté. Ces gens qu’on méprise, qu’on néglige, qu’on nargue et qu’on snobe, ces gens honnis sur qui on s’assoit, ceux qu’on viole et dont on ne fait aucun cas expliquent au pauvre homme le malentendu, la fameuse panne d’ordinateur.

À son guichet, la marionnette s’agite. Elle parle seule à la dame noire. Elle compte pour du beurre. Elle n’aime pas ça. Elle s’impatiente. Elle et ses galons en plastique, plus personne ne les écoute. Elle qui a le pouvoir, le crachoir, le giratoire confiscatoire, elle glisse de l’obligatoire à l’aléatoire. Elle voudrait tant pouvoir tous les virer à coups de pompe dans le cul, ces malpropres, ces amis des racailles, ces animaux humains, mais elle est attachée, enchaînée à son système, à son cadre, à son inhumanité.

Elle est bien seule.

Le vieil homme aux petites lunettes sait qu’il ne verra pas son fils, qu’il est trop tard pour demander un rendez-vous. Il pousse la porte d’entrée en acier, se retourne et lève son chapeau pour saluer ceux qui comme lui ont eu la malchance d’être très proches d’un malchanceux.

Eux, ils sont ensemble.


Publié le 10/12/2023 / 1 lecture
Commentaires
Publié le 30/12/2023
Les prisons sont un échec complet car ceux qui y sont ne peuvent plus revenir en arrière, et que ces lieux n'offrent en aucun cas l'opportunité de se nourrir de bien plus d'humanité qu'avant d'y entrer, et comme accumuler le pire ne pourra jamais apporter autre chose que du pire.... j'ai eu du mal à entrer dans ton texte car j'ai eu du mal à contextualiser ce témoignage, trop vite plongé dans le vif du sujet. Et sinon j'ai particulièrement aimé ce passage "Du haut de l'arbitraire de son pouvoir disproportionné, moyenâgeux, il a le droit de mépriser, d’humilier, d’écraser n’importe qui à condition de terminer par le mot magique, administrativement parlant, « Monsieur ».". Et touché par la sensibilité de ton texte.
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