Un voyage

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//On peut lire ce texte en écoutant  "True Love leaves no trace - Leonard Cohen, Death’s of a ladies’ man"//

La chaleur remontait les voies, sentait l’ennui de ce début d’après-midi de juillet, la fatigue du voyage. Les trains arrivaient doucement, presque sur la pointe des pieds, en soupirant d’avoir trop longtemps roulé, fatigués d’avoir porté ces voyageurs endormis, impatients d’enfin reposer leurs roues.

Il est seul, comme on peut l’être à 17 ans, de cette solitude joyeuse et inspirante, qui invite au voyage, à la découverte et à la rencontre. Plein d’espoir et d’avenir, une vie à découvrir, à vivre, mais plus tard, un peu plus tard. Pour le moment il est juste là. Un sac à dos, une guitare à l’épaule, il cherche ce train qui l’amènera vers cette maison accrochée à la colline, celle des amis, de la nature, du temps suspendu.

Quai 3b, c’est celui du bout de la gare, celui qui affrète ces petits trains partant à l’aventure au bout du monde. Le train fait encore la sieste au soleil, là-bas sur ses rails transpirants. Il arrivera quand il le voudra. De toute façon, ici, le temps est suspendu. On vit pour le voyage, pas pour l’arrivée. On embrasse le temps présent : que peut-il nous arriver de mieux ?

Quelques voyageurs se rassemblent sur ce quai 3b, ils s’interrogent du regard. Est-ce ici le départ pour l’inconnu ? Vous aussi, allez-vous tenter l’aventure nonchalante, l’impossible voyage ?

Deux wagons, c’est un petit train. Des banquettes couleur nostalgie, surmontées de petits rideaux en tissu qui se soulèvent au gré du vent qui s’engouffre par les fenêtres ouvertes. Le train s’ébroue lentement, comme on commence une randonnée, pas à pas, pour ne pas brusquer. Il quitte bientôt la ville écrasée sous le soleil et arrive dans les premiers virages de cette voie unique qui traverse les Cévennes, au milieu de cette végétation dense, surplombant les rivières fraîches, les forêts de châtaigniers, les murs en lauzes et les ânes qui broutent.

Les fenêtres sont ouvertes, le TAC-TAC des roues berce ce voyageur qui somnole au son de Leonard Cohen, walkman sur les oreilles, la tête posée sur ces rideaux de carrés orange et rouge. Le regard dans le vide, son corps fait un avec ce train qui l’emmène.

La chaleur rend ce voyage moite et chaud, comme un rêve de trop, comme un désir d’avancer, d’arriver. Il regarde ce paysage qui défile lentement, les ombres des châtaigniers sur la rivière au fond du gouffre, où l’on aperçoit furtivement, de temps en temps, des enfants rieurs plonger dans l’eau fraîche et transparente.

Pour ne pas fatiguer le train, le contrôleur demande qui doit descendre à la gare suivante : il lève la main, encore étonné que ce voyage puisse un jour se terminer. Le crissement des freins fatigués finit de le réveiller, le soupir du train marque son au revoir : un marchepied plus tard, le voici arrivé.


Publié le 21/10/2025 / 2 lectures
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