Un truc de chat et de chien !
“Renifleuse, elle ne lâche aucune odeur. Elle les détecte à distance, elle sait les reconnaître. Elle a un talent de chien policier. Elle adore fouiner partout, dans la totale discrétion. Ses pas sont inaudibles, une véritable chatte. Elle ne laisse ni odeur ni trace visible. À la maison, le réveil et le sommeil sont une compétition. Elle se précipite le soir pour s’endormir, m’entraînant avec elle dans cette routinière et inévitable balade statique nocturne. Puis, faisant semblant de ronfler, elle me lâche dans les bras de Morphée et revient dévaliser mon téléphone. Elle passe au peigne fin les appels, les messages, les notes, les réseaux sociaux, les courriels etc. Quand je me réveille en plein nuit, je la surprends, mon téléphone dans ses mains. Le geste se répète déjà plusieurs fois. Je ne sais comment faire, j’ai besoin d’aide !”
Ce message a été publié sur un blog d’entraide émotionnelle, “Temo-Emo” (témoignages émotionnels) où les gens partagent leurs chagrins de vie de couple. Après lecture, l’histoire me paraissait familière. J’avais l’impression de reconnaître ce couple. Mon instinct indiqua qu’il s’agissait de mes voisins.
Un soir, je décidai de mener une petite enquête.
Même si nous sommes voisins depuis des années, je dois vous avouer que je ne le connais pas. Je ne la connais pas. Mais cette nuit-là, j’étais là. Oui, moi, le type que personne ne voit, celui qui glisse dans les maisons comme une ombre.
Je suis entré par la fenêtre du salon, celle qui grince à peine. Pas pour voler, pas vraiment. Pour… chercher autre chose. La rumeur courait : dans cet appartement vivait un homme qui cachait des vérités. Pas des bijoux, pas de l’or. Des vérités.
Tout était silencieux, sauf… elle. Allongée là, sur le lit, son souffle feint, ses yeux mi-clos. Et lui, inconscient, comme livré en pâture aux charognards invisibles. Elle ne dormait pas. Non. Elle attendait que son compagnon tombe dans les limbes. Son obsession, je l’ai vue, étalée devant moi, en vrac : son téléphone.
Je l’ai observée, accroupi derrière la porte, ses doigts glissant sur l’écran comme ceux d’une voleuse en mission. Elle ne cherchait pas l’amour, non. Elle cherchait la preuve. Mais la preuve de quoi ? Je l’ignore encore. Ses yeux brûlaient d’une fièvre qui n’était pas la jalousie ordinaire. Alors, si une telle quête mène à la souffrance, à l'affliction, pourquoi la mène-t-elle toutes les nuits ? Y prend-elle du plaisir en coulant des larmes ? Et lui, qui n'est au courant de rien, que penserait-il s'il savait qu'elle fouille son téléphone toutes les nuits pour nourrir sa névrose et non conforter leur amour ?
Quand elle s’est endormie pour de bon, j’ai pris le relais. J’ai déverrouillé son téléphone — pas besoin de mot de passe, il était grand ouvert comme une plaie béante.
Et là, j’ai compris.
Des centaines de notes, de photos, de fragments de pensées. Des noms griffonnés. Des lieux, des dates, des visages. Tout un atlas secret d’obsessions. Elle avait créé un dossier appelé "Les disparus".
Chaque contact avait son numéro, ses captures d’écran, ses trajets, ses rendez-vous. Et parmi ces noms… le mien.
Je suis resté figé. Moi, Sami, inconnu parmi les inconnus, j’étais dans sa liste. Avec ma photo, mon adresse, et même… le code de mon immeuble.
J’ai reculé, tremblant. Pourquoi moi ? Je ne la connaissais pas. Je n’avais jamais vu son visage. Et pourtant, elle savait tout : ma date de naissance, le prénom de ma sœur, les amendes que je n’avais jamais payées, jusqu’au nom du chien de mon voisin d’enfance.
Puis j’ai vu ce qui m’a glacé : une série de messages brouillons, jamais envoyés, dans lesquels elle parlait de moi. Des courtes phrases, hachées, comme un souffle coupé :
“Je l’ai vu.”
“Il sait.”
“Sami doit disparaître.”
Je voulus m’enfuir. Mais au moment où je reculai, son téléphone vibra dans mes mains. Une notification apparut. Un message, venant de mon numéro, envoyé… il y a cinq minutes :
“Je sais que tu fouilles mes affaires. Descends ! Maintenant !”
Je suis resté pétrifié, le souffle suspendu. Comment… ? Mon propre téléphone était dans ma poche. Je l’ai sorti, il était éteint, batterie morte.
C’est là que j’ai compris. Ce n’était pas elle qui fouillait dans la vie de son mari. C’était ma vie que je confondais à celle de mes voisins. Et je n’étais pas entré chez eux par hasard.
La porte du couloir a grincé derrière moi.
Et dans l’ombre, deux yeux brillaient. Pas les siens. Pas les miens. Pas ceux de son époux non plus. Quelqu’un d’autre était déjà là. Un autre fouineur venait de rentrer...
Il est deux heures du matin, je me réveille tout seul dans la chambre, mon épouse est en voyage.
Je hais ce cauchemar !
Gbatagoulang