C’est arrivé ce matin - le 24 - au réveil.
Vague envie d’aller plus loin. Désir de courir un 800 mètres. De chanter de danser debout au-dessus du pont. De plonger dans le canal de l’Ourcq.
Et je vais plus loin. Et je cours un 800 mètres. Et je chante et je danse debout au-dessus du pont.
On les plante avec le doigt... On les plante avec le pied... On les plante avec la main...
Et je plonge dans le canal de l’Ourcq.
Pas pour me suicider.
Réalité d’un corps physique.
Être un corps qui vit - rien qu’un corps qui vit.
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Réveillon. Et brouhaha - 7 adultes et 3 p’tits loups qui courent dans un salon de 20 m².
Les canapés poussés. Rallonges placées. On sort assiettes couverts verres, et toutes les petites décos de Noël qu’on pose.
Belle énergie. Je souris. Des effluves de petits fours, de chapon à la truffe, de pommes dauphines.
C’est l’heure : tout y est. Autour de la table. Ils ont le verre à la main. Ils trinquent.
Les fenêtres s'éclairent. Bruit paisible des fous rires. Des souvenirs qu’on raconte.
L’enfant pour qui la terre n’est pas ronde parce qu’elle est pleine de bosses.
Ou l’enfant qui saute du toboggan parce qu’il pense voler.
Ou l’enfant qui se croit ivre parce qu’il a bu trop de champomy.
Et bien d’autres encore.
Des enfants adultes aujourd’hui.
Qui racontent ces histoires que j’ai tant racontées.
Les mille chemins de pensées qui m’effraient sont à l’instant obsolètes - je me détends : la partie est gagnée.
Ça n’est plus la nuit, une douce lumière un doux éclat - l’intense clarté n’est pas utile quand on cherche à prêter l'oreille.
Visage de l’homme libre, la vue sans crainte ni rage, et plus étendue - aveugle des membres décharnés.
Découvrir le ciel de son nuage, le vêtir de vos rires - bulles de savon irisées.
Ouvrir les yeux sans ciller - une presque sensation des pieds et des mains.
Je ne m’accroche plus au sol, la pluie n’est plus froide, un jour sans blessure - je cours doucement les heures.
C’est la demeure des sens titillés - un juste plaisir.
Ce sont 3 lettres. SLA. Sclérose latérale amyotrophique. Maladie de Charcot. Le coup de massue. Comprendre trop vite où on va. Où on s’en va. Et l’asséner à ceux qu’on aime.
Trois années passées...
On les plante avec le nez... On les plante avec le coude...
Alors on décide de dire au revoir. C’est courageux d’aller jusqu’au bout. C’est courageux aussi de partir avant. C’est un choix un droit - ma liberté.
Je ne cours plus un 800 mètres. Je ne chante plus, ne danse plus debout au-dessus du pont. Je ne plonge plus dans le canal de l’Ourcq. Mais je ne me suicide pas. Je pars.
Je la remercie, la vie. C’est comme ça que je la quitte. Sans remords, ni regrets.
Un dernier Noël. Et c’est de l’amour partout.
Et de la musique. L’un au piano, l’autre à la guitare.
Et la petite dernière avec ma flûte de pan. Merveilleuse surprise.
Elle a appris tout récemment pour toi. Flûte des deux mains.
La droite qui supporte l’instrument, la gauche symétrique à la droite.
Joy in the world. Jingle bells. Silent night.
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Le lendemain matin, le réveil est plus étrange encore. Tu sens ton corps se diviser.
Devenir autre. Tu t’écartèles. Tu es le roseau. Tu es flûte de pan.
« Il faut quitter la vie comme Ulysse Nausicaa – bénissant plutôt qu’amoureux. »
Nietzsche Ecce homo