Un gardien
Depuis des heures Je suis à la recherche de mon véhicule perdu dans un sombre et interminable parking souterrain étalé sur plusieurs niveaux. Je parcours des allées infinies, change d’étage, reviens sur mes pas, m’énerve, désespère. Tout d’un coup je fais face à un individu surgis de n’importe où. Grand, de forte stature, Planté bien droit au milieu de mon chemin, Vêtu d’un long manteau sombre, portant chapeau à large bord, visage creusé, les yeux noir brillant d’un éclat extraordinaire dans l’obscurité :
« Tu ne peux reprendre ta voiture » dit-il
Je suis cloué sur place. La voix est forte, caverneuse, comme d’outre-tombe. Il poursuit :
« Je suis le gardien de cette place et de tout ce qui s’y trouve »
Impressionné, Je bégaie une timide protestation « Mais pourquoi ? De quel droit ?»
« Parce qu’il m’a été donné le pouvoir de limiter les risques liés à l’usage de l’automobile et celui de juger qui, et quand le chauffeur peut reprendre son volant. De fait, tout un chacun a le pouvoir de se contrôler et de mesurer ses risques. Je sais que tu n’es plus dans ce cadre »
La scène est fantastique, se déroule dans une ambiance ouatée, dans un léger brouillard. C’est comme dans un rêve. J’ai conscience qu’il est dans le vrai surtout après les agapes de la période de fêtes qui m’ont affreusement blêmi le teint, arrondi mon tour de taille et encrassé mon cerveau.
Pourtant j’élève la voix « Je vais reprendre ma voiture »
« Non » « Tu bois, tu fumes. Ta vue est trouble, ton souffle est court, tes réflexes sont incertains. Ton incompétence à conduire est flagrante »
« Mais c’est aussi un outil de travail ! Et ma compagne m’attend !» rétorque-je.
Il assène :« Raison de plus, conduire dans ton état est criminel. »
L’individu dégage une telle autorité par le ton de sa voix et son attitude qu’il me prive d’argument. J’affirme en temporisant « Bon, ça va aller. Redonner moi ma voiture »
« Non, je ne crois pas les paroles d’un quasi ivrogne. Commence par te débarrasser de ce flasque d’alcool qui déforme la poche de ta veste et de ces cigarettes qui jaunissent tes doigts » maugrée-t-il
Vu le type d’homme je ne peux me risquer à une épreuve de force. La négociation à défaut de ruse qui me fait cruellement défaut, me semble la seule issue possible.. Si je trouve matière à négo..Et là je me sens obligé à un compromis : « Ecoutez, je vous promets de changer »
« Je te prends au mot » concède-t-il après un instant de réflexion « Mais attention à ce que tu vas me promettre »
« Croyez-moi je suis résolu à ne plus consommer ce tord boyau venu d’outre-Atlantique » dis-je en sortant le flacon de ma poche et en le jetant dans la poubelle du parking.
Méprisant : « Si tu veux un remède pour l'ivrognerie, ouvre les yeux et regarde l'ivrogne ».
« Je te regarde et c’est insuffisant. » Conclue-t-il
Je lui propose de réduire ma conso de cigarettes
Dédaigneux :« Je veux plus »
Exaspéré, tout d’un coup en sueur, Je rétorque à court d’argument : « Je fais la grève de la faim et vous serez tenu responsable de ce qui m’arrivera »
Lui, maintenant presque aimable : « Non, Bien boire et bien manger font bien travailler disait ma grand-mère. En toute chose, mesure et raison faut savoir garder. »
Puis sérieux : « Réduire les cigarettes et diminuer l’alcool suffiront. Dans une semaine tu pourras conduire à nouveau si tu t’engages à poursuivre ensuite ce régime »
Je devine qu’il ne fera pas d’autres concessions,
Je m’y engage.
Il me serre la main, la secoue et
On me secoue, une odeur de café : « Allez, réveille-toi. Il est 7 hr. dis ma compagne »
Je sors de mon rêve.