Avant de rentrer en Belgique, très au courant des choses à ne surtout pas manquer dans la région, Monsieur Ducastelle avait imaginé pour nous une excursion dans une exploitation viticole de Châteauneuf-du-Pape. Dans le domaine, les caves savamment éclairées, chichement pour faire croire au touriste qu'il se trouvait être privilégié au sein d'un sanctuaire, mais assez tout de même pour éviter qu'il se prenne les pieds dans les vieilles pierres irrégulières dont le sol était fait, résonnaient des exclamations superlatives d'un guide que je trouvais péteux. Il s'amusait beaucoup, je crois, à nous mitrailler de mots hors de ma portée qu'il expliquait parfois après toujours l'adverbe "évidemment" pour souligner notre ignorance. Il savait sans doute qu'il ne nous vendrait pas grand-chose alors il se vengeait par avance. Bon prince, je lui ai quand même pris une bouteille, non pas parce que ses prétentieuses exégèses m'auraient mis l'eau à la bouche, mais en pensant à Martine. J'avais l'intention de boire le cru avec elle à l’occasion d’un événement que je savais pourtant de plus en plus improbable. Pendant que le bel esprit faisait la roue, je m'étais dit tout bas dans ma tête que ce vin, il restait un espoir que nous puissions un jour le boire ensemble.
Il a finalement fallu plus de dix ans, faute d’un autre rouge à portée de main, avant que je débouche avec une pointe de regret - ce n'était pas avec Martine - la bouteille empoussiérée oubliée dans la cave.