Le grenier était sombre. Juste un peu de lumière extérieure parvenait à traverser la petite lucarne encrassée et éclairait vaguement une montagne de bidules exotiques, témoins de quarante ans de souvenirs arrivés du bout du monde ; Mes grand-parents étaient de nature voyageuse. Jamais là, papy et mamy ! Toujours partis en vadrouille à la lisière du monde, jusqu’à ce qu'elle tombe malade d'un mal qui la tua il y a juste cinq ans. Terrassé par le chagrin, papy n’avait plus pris d’autre route que celle qui le menait au supermarché du coin.
Pour être franc, je n’osais rien toucher dans ce grenier. Je respectais trop mon grand-père pour oser braver son autorité, fût-elle d’outre-tombe.
J’allais donc redescendre par la petite échelle et refermer la trappe sur les secrets de papy et mamy quand j’ai remarqué une lettre, qui m'était adressée : "Si tu lis cette lettre, c’est que te voici dans mon grenier ! Et, si tu lis cette lettre, c’est aussi parce que je suis parti rejoindre ta grand-mère dans un espéré Paradis. Je savais que tu serais le premier à fouiller dans mes affaires, petite tête de mule ! Plaisanterie mise à part, je suis soulagé de pouvoir partager mes secrets avec toi, un en particulier, un secret que je garde depuis de nombreuses années et qui pourrait bien te rendre riche, mon cher enfant, si tu es perspicace et prudent. Car vois-tu, ce que je suis sur le point de te dévoiler est aussi palpitant que dangereux..."
Alors voilà, il y a de nombreuses années, j’ai découvert un joyau inestimable, « le trésor des Mascareignes ». En 1490, un galion espagnol s’est échoué dans l’océan Indien, il était chargé de coffres remplis d’or et de diamants et n’a, depuis cette époque, jamais été retrouvé. Je te passe les détails qui m’ont lié à cette affaire et qui n’ont que peu d’importance, mais vois-tu, à force de travail, d’investigations et de chance aussi, l’équipe que j’avais constituée a fini par mettre la main sur ce fabuleux trésor. Nous avons été des plus discrets quant à notre découverte mais comme tout se sait toujours, la nouvelle a fuité et très vite, un groupe de mercenaires s’est mis en tête de nous délester de notre butin ; Les frères Suarez. Attention, ils sont dangereux ! Ils ont interrogé, à leur façon, trois gars que j’avais engagés. Ces braves n’ont jamais parlé mais l’ont payé de leur vie ; Des exécutions maquillées en morts accidentelles. Connaissant la loyauté des mes trois infortunés camarades et sachant le trésor en sécurité, je suis reparti pour la France en toute discrétion pour que les Suarez ne me retrouvent pas. Tout ce que je peux te dévoiler sur « le trésor des Mascareignes » est qu’il se trouve sur l’île Maurice...
À présent tu vas devoir te rendre là-bas au plus vite. Sur place, un ami en lequel j'ai la plus grande confiance prendra contact avec toi. Il se présentera comme "L'indicateur" et t'aidera dans ton périple. Surtout tu devras rester sur tes gardes car les frères Suarez ont des oreilles partout et ils sauront très vite quand tu seras à "Maurice". Je te fais là un cadeau empoisonné, j'en ai conscience. J'espère que tu ne m'en tiendras pas rigueur. À présent il est temps pour moi de partir... J'emporte avec moi de merveilleux souvenirs et ton rire d'enfant résonnant à jamais dans mon coeur.. "
Albert Montluçon
"Il est drôle, mon grand-père ! La dernière fois qu'il m'a vu, j'avais huit ans ! Je peux comprendre qu'il se souvenait de moi, aventurier, énergique et fougueux comme la plupart des enfants de cet âge mais depuis, de l'eau a coulé sous les ponts ; J'ai été diagnostiqué asthmatique durant mes études de droit fiscal et, à force de vérifier les bilans comptable des sociétés, je suis devenu complètement miro, sans parler de ma silhouette. Oui, c'est carrément mieux de ne pas en parler. Et puis, de toutes façons, Josiane ne voudra jamais que je parte, ni Jean-Jacques, mon chef direct de l'hôtel des impôts de Bobigny. Donc, tant pis, pépé, j'irai pas ! Ton trésor, je m'en fous, et je suis très bien avec ma vieille Mégane et mon T3 sur la Sablière." Voilà en substance ce que j'ai pensé en quittant le grenier.
Les semaines et les mois se sont succédé et cette histoire m'était complètement sortie de la tête jusqu'au lundi 1er mars 2010, où le destin a rebattu les cartes ; Jean-Jacques m'attendait à mon arrivée au boulot.
- "Salut Patrice ! Tu vas bien ?"
C'était bizarre de voir mon chef si prévenant.
- "Tu vois qui c'est Michel ? Tu sais, Michel, le grand gars qui ressemble à Gary Grant et qu'on dépêche parfois sur l'international ?" a-t-il continué avec la même suspecte gentillesse.
Oui, je voyais très bien qui était ce prétentieux de Michel, parlant un anglais parfait, il était toujours sapé avec des costards nickel, tellement nickel qu'on se demandait bien, Mathieu, mon voisin de bureau, et moi, comment il se les payait avec son salaire d'inspecteur du fisc. L'idée qu'il en croquait nous a parfois traverser l'esprit, je dois le reconnaître.
- "Et bien, il a eu un arrêt cardiaque. Il s'en sort mais il prend trois mois de repos et ces trois mois on ne les a pas pour coincer les salauds de Total qui commencent à pousser le bouchon un peu loin avec leurs filiales off-shore à Maurice. Alors, j'ai pensé à toi pour y aller et les coincer. Tu as le profil parfait ! Tu peux refuser, bien sûr, d'autant que l'administration ne sera pas large pour ton logement et tes défraiements mais si tu es toujours au PCF et que tu es un peu cohérent, tu vas accepter."
J'avais le "profil parfait" ? Il se foutait de ma gueule ou quoi ? D'un autre côté, ça me faisait bien chier que ces raclures de Total puissent encore se goinfrer aux frais de la collectivité.
- "Et Josiane ? T'as pensé à Josiane, Jean-Jacques ?" je lui ai dit.
- "C'est en ordre ! Je viens de l'appeler. Je lui ai dit que si elle te laissait partir, il y avait gros à parier que tu aies de l'avancement. Elle est OK. Je me demande même si elle n'a pas envie de t'accompagner."
- "Tu me laisses une semaine ou deux pour réfléchir ?" J'ai risqué sans vraiment y croire.
- "Ben non ! Si tu pars, c'est demain, de Beauvais.".
- "Bon, ben si Josiane est d'accord..."
Et c'est comme ça que je me suis retrouvé dans l'avion Ryanair à destination de l'île Maurice...avec Josiane.