L’étourdissement de la vengeance, toujours, joue contre la course du temps. Et je m’étais précipité: avalant une gorgée de violence pour chaque seconde de patience exécrée.
L’attente est la flamme tortionnaire des empressés: elle consume, désagrège, supplicie. Elle est la coulée de bronze dans la gorge des opiniâtres et la tyrannie embusquée de tout esprit. Elle, qui forge les caractères ou les défait, est l’écolâtre intransigeant aux deux visages. Attendre, c’est succomber à l’insanité ou s’en extraire. L’attente est le dichotome lunatique de l’intention: elle galvanise la malice de l’acte ou lentement l'assagit.
Et les émotions excellent dans l’art d’inverser les théorèmes.
Nul ne peut alors prédire qui, du simple émoi ou de la sauvagerie extrême, l’emportera sur la symphonie d’un cœur blessé. Car la tragédie ne tolère aucune loi. Elle ne s’affaire qu’au vacarme et à la propagation zizanique des humeurs et des sentiments.
Et c’est pourtant face à elle que l’homme, seulement, se révèle à lui-même: puisque dans la nudité de la solitude ou de l’adversité, que nous reste-t-il sinon les leçons de nos pairs et la résistance de nos gènes? La tragédie démasque les êtres, exhibant tout autant leurs forces latentes que leurs faiblesses inavouées. L’imposture n’a plus sa place.
Les hommes ainsi dévêtus face au drame s’apparaissent alors peut-être pour la première fois, au miroir de leur âme, en pleine essence de vérité. Et c’est ce reflet dépourvu de tout artifice qui, je crois, prédestine à la rébellion, à la chute ou à la fuite.
L’étendue des possibles se résume à ce que nous sommes.
Le courage et l’abnégation ne peuvent se prétendre qu’un temps.
J’ai longtemps cru être de ceux qui s’arrogent quoiqu’il en coûte la force nécessaire à leur survie. De ceux dont l’étuve de la vie n’affecte en rien la combativité. Jeune esprit glabre de toute idée de mortalité, je tutoyais le risque en m’abreuvant au chantepleure de mon inconscience. Je possédais l’insolence de la fougue et la bravoure des ignorants.
Je crois que la vertu de la jeunesse est dans son idéal. Dans cette indéfectible foi que le monde, un jour, pourrait se mettre à tourner autrement. L’homme s’émancipe au gré de cette confiance naïve que si rien n’est à jeter, tout est à refaire, en plus attentionné si possible.
L’espoir rend l’audace inébranlable lorsqu’il est aux mains des insouciants. Il est base de toute construction, de toute conquête, de tout avenir. Il est l’état de grâce qui, dans le secret des âmes, redessine en silence le visage des lendemains fébriles.
Je crois que l’espoir est la page blanche des valeureux, des aveuglés et des imbéciles. De ceux qui ne savent pas encore qu’il leur filera d’entre les doigts, telle l’anguille effrayée, ne laissant derrière lui qu’un goût d’inachevé et le regret d’y avoir cru.
Et c’est lorsque la vie ne semble alors n’être rien d’autre que la grande loterie du désenchantement, qu’il est nécessaire, pour continuer, d’accepter d’y avoir perdu l'effervescence de ses idéaux. - Car grandir, c’est apprendre à se résigner. -
C’est léguer le flambeau ou le poids de l’espoir à ceux pour qui il est encore trop tôt pour cesser de croire. Car au fond, que serions-nous, si nous n’encouragions pas nos enfants à rêver? Peut-être l’un d'entre eux sera-t-il un jour épargné par cette sagesse, ou cette lâcheté, qui empêche de s’évertuer à réaliser ce qui semble impossible.
Et peut-être que finalement, confier à d'autres l’espoir, c’est toujours un peu espérer...
L’évidence perd son sens lorsqu’il s'agit d'avenir. Les aspirations sont malléables. Les volontés se contredisent. Et le grand hiver de la jeunesse, inexorablement, déshabille les rêves au rythme des âges, emportant avec lui les lueurs chimériques d’un monde que l’on aurait rendu différent, à défaut de meilleur.
C’est en courbant l’échine que l’homme à l’utopie ainsi cabossée, tente alors de noyer l’aigreur rance des idées vaines dans une romance qui, elle, en vaudrait la peine, puisque l’amour universel lui a d’ores et déjà échappé.
L'effleurement des premiers émois désarme les cœurs qui saignent: il panse les plaies que l’on croyait trop profondes et réinsuffle l’envie d’avancer dans les brumes vertigineuses d’un monde que l’on sait pourtant imparfait.
L’amour est la lanterne craintive ou le feu assumé qui repousse un peu plus loin l’atermoiement singulier de l’épais brouillard. Il est, lorsqu’il éclot sur un cœur de solitude ou de douleur, cette verve habile et fallacieuse qui assure que, désormais, l’on ne sera plus jamais seul.
L’amour est le nectar de l’existence, la renaissance d’un idéal. Il s’épanouit, en terre saine comme hostile, dans la soie comme dans le foutre, jusqu’à ce qu’un matin, la fleur finalement trop légère soit amputée de son pétale pourpre.
Et les sens suppurés des cœurs tronqués alors se mélangent, nous laissant prendre pour la gangrène acérée de la Haine, ce qu’il nous restait de la force de l’Amour.
Et c’est cette confusion qui est l’écorce de toutes les folies : l’idée tombée dans les zéphyrs de l’oblivion, que c’est en réalité le fait de ne pas être inconditionnellement aimé qui nous pousse à haïr.