Haïti, profondément, est en deuil. L'un de ses plus distingués fils a fermé les yeux, le jour même qu'à travers Port-au-Prince et son voisinage, certains acteurs décidaient de nettoyer, d'essayer ou de se distraire avec leur fusils. Né en 1936, il a grandi dans le pays que les américains venaient de construire en 1915 et 1934. Un pays très avancé par rapport à celui de 2025, où l'État n'existe que pour quelques-uns. Il a vécu pendant de longues décennies dans un quartier, d'où sont sortis des citoyens de dimension humaine et intellectuelle respectable. Ma génération se rappelle le jour de janvier où fut décidé que 2010 sera "l'année Frankétienne". Haïti connut un séisme dévastateur dont les séquelles sont toujours présentes.
Face à un combattant de cette envergure, il faut s'interroger... Il s'opposa à la présidence à vie pendant trois décennies. Quarante ans plus tard, il s'en va, témoin d'un gouvernement sophistiqué, lequel prie et agit chaque jour et chaque nuit pour une nouvelle présidence à durée indéterminée... A travers des discours magnifiques et une indifférence qui feraient peur aux Duvalier...
Il est parti, ce jour même où les haïtiens apprennent qu'ils sont à quelques semaines de subir le plus terrifiant exode de leur histoire, depuis l'arrivée des premiers noirs en 1503... Théoriquement, un demi-million devront laisser les États-Unis à partir d'août 2025.
Que ferons-nous des combats et des rêves de Frankétienne?
Pendant 3 longues décennies, ce distingué opposant à la dictature retint l'attention de Son Excellence... Aujourd'hui, les nouveaux dictateurs et leurs associés ferment les écoles, les hôpitaux, les églises et les cimetières. Quelques jours avant le départ de Frankétienne, les vrais maîtres de la République envoyèrent des signaux déterminés à ceux qui croient à l'éducation: le canon de leur fusil a franchi les fenêtres de deux salles de classe, géographiquement opposées...
Lorsque la dictature censura la pièce de théâtre la plus fameuse de notre histoire, les idéologues du régime utilisèrent quelques arguments...
Aujourd’hui, il n’y a pratiquement pas de théâtre ni d’acteurs.
Et si Frankétienne était le dernier morceau de pays? Avant l’apocalypse, tant souhaitée par ceux qui agissent en coulisses depuis déjà quelques années…
Gilbert Mervilus