Il m’arrive, lorsque je regarde le ciel, de sentir à quel point tout cela nous dépasse.
Pas dans la peur, ni dans la tristesse simplement dans une évidence tranquille :
nous sommes de passage dans un univers immense, qui continuera sans nous.
Cette pensée, loin de m’angoisser, m’apaise.
Elle remet tout en place, tout en perspective.
J’ai écrit ce texte pour partager ce regard :
un regard d’humain qui accepte son destin tout en s’émerveillant encore.
Quand plus personne ne regardera
par Michel Tournier
Chaque fois que je lève les yeux vers le ciel, je vois l’infini.
Pas seulement des étoiles, pas seulement des points de lumière :
je vois un univers qui existera peut-être un jour sans personne pour le regarder.
Et je le dis sans peur.
Je n’ai pas peur pour moi,
ni pour l’humanité.
C’est notre destin.
Notre chemin aura une fin, comme tout ici-bas.
Et cela ne me rend pas triste :
dans ma tête, le modèle est là,
clair, vaste, évident.
Nous, les humains, sommes arrivés tard dans l’histoire du cosmos, mais dès que nous avons ouvert les yeux,
nous avons voulu tout nommer.
Nous avons baptisé les poussières, les microbes, les montagnes, les ombres, les galaxies, et même les soleils dix mille fois plus vastes que le nôtre.
Nous avons posé des mots sur ce qui ne demandait rien.
Nous avons brillé un instant,
comme une étincelle dans un vent cosmique.
Nous avons expliqué, classé, compris
ou cru comprendre.
Mais nous ne durerons pas.
L’humanité n’est qu’un souffle,
une présence éphémère à l’échelle du temps.
Un jour, peut-être bientôt,
il n’y aura plus personne
pour dire « étoile », « Terre », ou « univers ».
La lumière continuera de voyager,
les planètes de tourner,
les galaxies de se croiser,
mais sans témoin,
sans regard,
sans langage.
L’univers redeviendra
l’univers sans nous.
Muet. Immense. Intact.
Toujours là,
mais sans personne pour le décrire.
Et c’est à cela que je pense, chaque fois que je regarde le ciel :
à cette beauté qui n’a besoin de personne,
mais qui, pour l’instant,
passe par mes yeux.