Ses paupières se ferment. A la façon des rideaux de fer, elles annoncent la fin de son rêve. Devanture en berne, inéluctablement. Des gens pressés, un bus à prendre, ne pas être en retard pour le souper. L’hiver a pris la relève, parsemant de milliards de flocons les rues grises des villes. Il n’y a guère plus que les saisons que les hommes ont décidé de combattre. Les rues se vident, laissant place au ballet inquiétant de spectres, enchaînés de leurs espoirs déchus. Ses doux souvenirs lui reviennent en boulets de canon démâtant sa lutte intérieure.
Il se remémore des posters de super héros qui tapissaient son univers d’enfant, qui l’invitaient à l’exploit. De ses jouets éparpillés, orphelins le temps d’une nuit de sa créativité débordante. Emmitouflé dans sa couette, il comptait les pas de sa maman, traversant la chambrée sous les regards émus de ses fidèles peluches. Elle les sondait d’un ton inquisiteur « mais où est donc passé mon petit garçon ? ». Il était évident que ses fidèles compagnons ne le dénonceraient pas, les adultes sont parfois bien naïfs. Il se les imaginait tous sourires, jubilant que sa cachette ne fût pas encore découverte…
Elle chantonnait avec douceur le compte à rebours qui signifiait que les investigations s’intensifiaient « Il était un petit homme, pirouette, cacahuète. Il était un petit homme, qui avait une drôle de maison, qui avait une drôle de maison ».
À la fin de ce rituel qu’il aimait tout particulièrement, après que sa mère eut consulté madame l’armoire, peu loquace, et monsieur le coffre à jouet, bougon comme à son habitude, elle relevait la couette et y trouvait sa précieuse créature. Il lovait alors de ses petits bras le cou de sa maman, déterminé à faire le plein d’amour pour le long voyage qu’il allait entreprendre au pays des rêves.
« L’avenir t’appartient… » lui murmurait-elle au creux de l’oreille, avant de déposer son baiser protecteur qui chassait toutes ses appréhensions. Quand sa maman se retirait à pas feutré, il se signait. Il collectait ce doux baiser sur son front « au nom de ma mère » puis le ramenait sur son cœur : « de son fils », joignait ses mains « de notre Saint-Esprit » et les embrassaient « ainsi soit-il… » en serrant fort les paupières pour contenir le plus longtemps possible ses vœux bienheureux.
Seize années avaient passé et la sainte femme n’était plus. Foudroyée par la maladie dans le mépris le plus total de son compagnon d’infortune, qui l’avait détruite à petit feu, avant de chasser le jeune homme, livré aux errances de la rue, accablé de chagrin. Il avait pensé mourir à son tour bien des fois mais la cruauté ne méritait pas aussi belle offrande. « L’avenir lui appartenait » se répétait-il dans l’espoir de conjurer le mauvais sort.
Une larme dégringole sur sa pommette en ce funeste anniversaire. Il se désagrège de tristesse sur sa couche. Les poings serrés, il remonte sa couverture comme un condamné s’agripperait à sa vie, puis se retourne comme le destin l’a fait voilà maintenant deux ans. À travers l’opercule, l’hiver ricane sous son nez, le fouette de tout son cynisme, le mord de ses incisives moqueuses, qui l’assaillent par milliers. Il délire encore un instant et s’endors épuisé, du sommeil du juste.
Une lumière bleutée le réveille, l’agitation alentours est à son comble. En contre-plongée, il distingue deux masses sombres qui s’abattent sur lui. Ils les esquive à toute berzingue. Ils se croisent sans se remarquer. Apeuré il s’immobilise, les regarde s’agenouiller en avec beaucoup d’agitation, puis se saisir d’une carte qu’ils décryptent…
Une voix lui confirme ce qu’ils pressent désormais et qu’il contemple dubitatif « Ici alpha Sierra, l’individu se prénomme Mathieu Drumme, 21 ans, SDF, emporté par le froid...
Mon histoire est terminée, pirouette, cacahuète.
Mon histoire est terminée,
Messieurs, mesdames applaudissez.
Messieurs, mesdames applaudissez.