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Petit traité de versification française - Louis Marie Quicherat - 1882
Chapitre 16 : Des Stances, des Strophes.

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Stance vient d’un mot italien qui signifie repos. D’après son étymologie, la stance est donc une suite de vers formant un sens complet.

On donne en particulier le nom de stances à une pièce de poésie composée d’un certain nombre de stances.

Les stances sont irrégulières ou régulières. Les premières reçoivent plus ou moins de vers ayant des mesures différentes et les rimes diversement entremêlées. Elles rentrent dans les vers libres ; non n’avons pas à nous en occuper.

Les stances régulières présentent un nombre déterminé de vers, et assujettis, pour le mètre et pour le mélange des rimes, à une règle qui s’observe dam toute la pièce.

Dans l’ode les stances se nomment strophes, et couplets dans la chanson.

Dans les pièces de poésie intitulées stances, chaque stance n’a ordinairement que quatre, cinq ou six vers.

Nous ne nous servirons que du mot stance, qui est le plus général. Il sera bien entendu que, s’il s’agit d’une ode, stance sera synonyme de strophe. Une stance s’appelle quatrain, si elle a quatre, sixain si elle en a six[1] ; huitain ou octave, si elle en a huit ; dixain ou dizain, si elle en a dix. Les stances peuvent employer un mètre unique, ou combiner ensemble différentes mesures. Nous appellerons isomètres[2] les stances qui n’auront qu’un seul genre de vers

Les mesures qui se trouvent le plus souvent réunies dans les stances sont l’alexandrin mélangé avec le vers de huit syllabes ou avec celui de six.

RÈGLES GÉNÉRALES.

  • 1" Le sens doit être complet à la fin de chaque stance
  • 2° Une stance ne doit pas se terminer par une rime de même nature que celle qui commence la stance suivante ; ou, ce qui revient presque toujours au même, une stance ne doit pas commencer et finir par des rimes de même nature’.
  • 3° Comme les stances se terminent ordinairement par une rime masculine, elles commencent par une rime féminine.
  • 4° Elles ont nécessairement les rimes croisées. Quelquefois deux rimes plates sont mêlées à des rimes croisées.
  • 5° Si une stance n’est pas isomètre, on n’y emploie généralement que deux mesures différentes. 6° II faut éviter que la rime qui termine une stance offre une consonnance à peu près semblable à la rime du vers suivant, ; comme si une stance finissait par le mot imprévu, et que la suivante commençât par le mot vue.

Les stances, depuis celles de quatre vers jusqu’à celles de dix, peuvent être très-variées et par le mélange des rimes et par les différents mètres qu’elles reçoivent. On peut même dire qu’il n’y a pas de bornes, sous ces deux rapports, à la liberté du poète, pourvu toutefois que les règles générales soient respectées. Malherbe et Rousseau ont sans doute employé les combinaisons les plus harmonieuses mais ils ne les ont pas toutes épuisées. C’est l’oreille qu’il faut consulter dans les essais de ce genre. 1. I) faut cependant excepter le cas où la rime change de nature au commencement de chaque stance, comme on le verra dans un modèle de quatrain. 

  • §1. TERCETS.

Malgré quelques tentatives faites au seizième siècle pour introduire dans notre poésie des stances, proprement dites, composées de trois vers, le tercet n’a point été adopté par l’usage.

Mais si le tercet ne forme pas individuellement un modèle de stances, il est assez fréquent dans le genre lyrique[3].

Nous le voyons dans l’Esther de Racine

TOUT LE CHŒOR.

Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats

Non, il ne souffrira pas

Qu’on égorge ainsi l’innocence.

UNE ISRAELITES SEULE

Eh quoi ! dirait l’impiété,

Où donc est-il ce Dieu si redouté,

Dont Israël nous vantait la puissance

Et dans une cantate de Rousseau :

Quel bonheur ! quelle victoire !

Quel triomphe ! quelle gloire !

Les Amours sont désarmés.

Jeunes cœurs, rompez vos chaînes :

Cessons de craindre les peines

Dont nous sommes alarmés.

  • § 2. STANCE DE QUATRE VERS.

Dans cette stance, comme dans toutes les autres, on peut n’employer que des vers de même mesure. Nous commencerons toujours par les types qui seront isomètres.

  • 1er modèle

Les vers de sept syllabes, de huit, de dix et de douze, servent fréquemment à cette stance :

Ruisseau peu connu, dont l’eau coule

Dans un lieu sauvage et couvert,

Oui, comme toi, je crains la foule,

Comme toi, j’aime le désert.

Ruisseau, sur ma peine passée

Fais rouler l’oubli des douleurs,

Et ne laisse dans ma pensée

Que ta paix, tes flots et tes fleurs. Ducis.

Telle autour d’Ilion la mort livide et blême

Moissonnait les guerriers de Phrygie et d’Argos,

Dans ces combats affreux où le dieu Mars lui-même

De son sang immortel vit bouillonner les flots.

D’un bruit pareil au bruit d’une armée invincible

Qui s’avance au signal d’un combat furieux,

Il ébranla du ciel la voûte inaccessible,

Et vint porter sa plainte au monarque des dieux. Rouss.

  • 2e modèle.

Dans les stances précédentes, les consonnances masculines et féminines se succèdent alternativement. On peut aussi mettre au deuxième et au troisième vers des rimes de même nature dans ce cas, si une stance commence par une rime masculine, la suivante commencera par une rime féminine, et ainsi de suite. 

Quel plaisir de voir les troupeaux,

Quand le midi brute l’herbette,

Rangés autour de la houlette,

Chercher le frais sous les ormeaux !

Puis, sur le soir, à nos musettes

Ouïr répondre les coteaux,

Et retentir taus nos hameaux

Du hautbois et des chansonnettes ! CHAULIEU.

Vous qui parcourez cette plaine,

Ruisseaux, coûtez plus tentement ;

Oiseaux ; chantez plus doucement ;

Zéphyrs, retenez votre haleine.

Respectez un jeune chasseur’

Las d’une course violente,

Et du doux repos qui l’enchante

Laissez-lui goûter la douceur. Rouss.

 

  • 3e modèles

Vers alexandrins et vers de huit syllabes :

Trop heureux qui du champ par son père laissé

Peut parcourir au loin les limites antiques,

Sans redouter les cris de l’orphelin chassé

Du sein de ses dieux domestiques ! Rouss.

  • 4e modèle.

Guide notre âme dans ta coûte ;

Rends notre corps docile à ta divine loi ;

Remplis-nous d’un espoir que n’ébranle aucun doute,

Et que jamais l’erreur n’altère notre foi. RACINE.

  • 5e modèle.

Peuples, élevez vos concerts

Poussez des cris de joie et des chants de victoire

Voici le roi de l’univers

Qui vient faire éclater sa puissance et sa gloire. Rouss.

  • 6e modèle

Où courez-vous, cruels !

Quel démon parricide

Arme vos sacrilèges bras ?

Pour qui destinez-vous l’appareil homicide

De tant d’armes et de soldats ? Rôuss.

  • 7e modèle.

Vers alexandrins et vers de six syllabes. Voici les deux types principaux :

Les troupeaux ont quitté leurs cabanes rustiques ;

Le laboureur commence à lever ses guérets ;

Les arbres vont bientôt de leurs têtes antiques

Ombrager les forêts. Rouss.

  • 8e modèle.

Mais elle était du monde où les plus belles choses

Ont le pire destin

Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,

L’espace d’un matin. MA

  • § 3. STANCE DE CINQ VERS.

Dans la stance de cinq vers L’une des deux rimes est triple, tandis que L’autre n’est que double. Dans toute stance qui a un nombre impair de vers, il faut ainsi trois rimes semblables ; mais on ne les place jamais consécutivement. 

  • 1er modèle.

Du poète de Sicile[4]

Qu’est devenu le hautbois,

La flûte et la douce voix

Dont Moschus dans une idylle

Chantait les prés et les bois ? CHAULIEU.

  • 2e modèle.

Le volage amant de Clytie[5]

Ne caresse plus nos climats,

Et bientôt des monts de Scythie

Le fougueux époux d’Orithye

Va nous ramener les frimas. Rouss.

  • 3e modèle.

Vers alexandrins et vers de huit syllabes :

Comment tant de grandeur s’est-elle évanouie ?

Qu’est devenu l’éclat de ce vaste appareil ?

Quoi ! leur clarté s’éteint aux clartés du soleil !

Dans un sommeil profond ils ont passé leur vie,

Et la mort a fait leur réveil. Rouss.

  • 4e modèle

Vers alexandrins et vers de six syllabes :

Que d’un rang usurpé tombe enfin dans la poudre

Tout mortel insolent d’un bonheur odieux :

Il est un jour vengeur, un jour qui vient absoudre

Des lenteurs de la foudre

La justice des dieux. LE BRUN[6]

  • § 4. STANCE DE SIX VERS.

La stance de six vers, qu’on nomme sixain, est celle que nos poètes ont le plus souvent employée. Elle a beaucoup d’harmonie et admet de nombreuses combinaisons. Voici sa coupe la plus ordinaire elle prend un repos après le troisième vers, en sorte qu’elle est partagée en deux tercets ; le premier vers rime avec le second, le quatrième avec le cinquième, et le troisième avec le sixième. Plus rarement on la divise en un quatrain et un distique (réunion de deux vers). 

  • 1er modèle.

Tircis, il faut penser à faire la retraite

La course de nos jours est plus qu’à demi faite ;

L’âge insensiblement nous conduit à la mort ;

Nous avons assez vu, sur la mer de ce monde,

Errer au gré des flots notre nef vagabonde

Il est temps de jouir des délices du port. RACAN.

La stance composée de six alexandrins était fort usitée à la fin du seizième siècle et dans le dix-septième. Il y a des sixains en vers de dix syllabes, de huit, de sept, etc.

Si je ne loge en ces maisons dorées

Au front superbe, aux voûtes peinturées

D’azur, d’émail et de mille couleurs

Mon œil se plait aux trésors de la plaine

Riche d’œillets, de lis, de marjolaine,

Et du beau teint des printanières fleurs. DESPCATES.

Les lois de la mort sont fatales

Aussi bien aux maisons royales

Qu’aux tandis couverts de roseaux,

Tous nos jours sont sujets aux Parques.

Ceux des bergers et des monarques

Son.t coupés des mêmes ciseaux., RACAN.

  • 2modèle

Vers alexandrins et vers de huit syllabes. Voici les principales combinaisons :

Le temps fuit, dites-vous ; c’est lui qui nous convie

A saisir promptement les douceurs de la vie ;

L’avenir est douteux, le présent est certain.

Dans la rapidité d’une course bornée,

Sommes-nous assez sûrs de notre destinée,

Pour la remettre au lendemain ? Rouss

  • 3e modèle

Seigneur, dans ta gloire adorable

Quel mortel est digne d’entrer ?

Qui pourra grand Dieu, pénétrer

Ce sanctuaire impénétrable[7]

Où tes saints inclinés, d’un œil respectueux.

Contemplent de ton’ front l’éclat majestueux

  • 4e modèle

Vers alexandrins et vers de six syllabes :

Voilà que ! fut celui qui t’adresse sa plainte

Victime abandonnée à l’envieuse feinte,

De sa seule innocence il fut accompagné

Toujours persécuté, mais toujours calme et ferme.

Et, surchargé de jours, n’aspirant plus qu’au terme

A leur nombre assigné. Rouss.

5e modèle.

A l’aspect des vaisseaux que vomit le Bosphore,

Sous un nouveau Xerxès Téthys croit voir encore

Au travers de ses flots promener les forêts ;

Et le nombreux amas de lances hérissées,

Contre le ciel dressées,

Égale les épis qui dorent nos guérets. Rouss.

  • 6e modèles

Je n’irais point, des dieux profanant la retraite,

Dérober au destin téméraire interprète,

Ses augustes secrets ;

Je n’irais point chercher une amante ravie,

Et, la lyre à la main, redemander sa vie

Au gendre de Cérès. Rouss.

  • 7e modèle.

L’ambition guidait vos escadrons rapides ;

Vous dévoriez déjà, dans vos courses avides,

Toutes les régions qu’éclaire le soleil

Mais le Seigneur se lève, il parte, et sa menaça

Convertit votre audace

En un morne sommeil. Rouss.

  • § 5. STANCE DE SEPT VERS.

La stance de sept vers est composée d’un quatrain et d’un tercet une des rimes du premier passe dans le second. Quelquefois le tercet précède le quatrain. 

  • 1er modèle

C’est ainsi que du jeune Atride

On vit L’éloquente douleur

Intéresser dans son malheur

Les Grecs assemblés en Aulide,

Et d’une noble ambition

Armer leur colère intrépide

Pour la conquête d’Dion. Rouss.

  • 2e modèle 

Suspends tes flots, heureuse Loire,

Dans ce vallon délicieux. :

Quels bords t’offriront plus de gloire

Et des coteaux plus gracieux ?

Pactole, Méandre, Pénée,

Jamais votre onde fortunée

Ne coula sous de plus beaux cieux. GRESSET.

  • 3e modèle 

Vers de huit syllabes et vers alexandrins :

Ainsi que la vague rapide

D’un torrent qui coule à grands bruit

Se dissipe et s’évanouit

Dans le sein de la terre humide ;

Ou comme l’airain enflammé

Fait fondre la cire fluide

Qui bouillonne à l’aspect du brasier allumé. Rouss

  • 4e modèle.

Paraissez, roi des rois venez, juge suprême,

Faire éclater votre courroux

Contre l’orgueil et le blasphème

De l’impie armé contre vous.

Dieu de l’univers est le Dieu des vengeances

Le pouvoir et le droit de punir les offenses

N’appartient qu’à ce Dieu jaloux. Rouss.

  • 5e modèle.

Alexandrins et vers de six syllabes.

La terre ne sait pas la loi qui la féconde ;

L’Océan, refoulé sous mon bras tout-puissant,

Sait-il comment, au gré du nocturne croissant,

De sa prison féconde

La mer vomit son onde,

Et des bords qu’elle inonde

Recule en mugissant ? DE LAMARTINE.

Remarque. La stance de sept vers est plus ordinairement isomètre.

  • § 6. STANCE DE HUIT VERS.

Cette stance est composée de deux quatrains.

Par les ravages du tonnerre

Nous verrions les champs moissonnés,

Et des entrailles de la terre

Les plus hauts monts ’déracinés

Nos yeux verraient leur masse aride,

Transportée au milieu des airs,

Tomber d’une chute rapide

Dans le vaste gouffre des mers. Rouss.

La stance de huit vers isomètres était fort en usage au seizième siècle, surtout en vers de huit syllabes. Aujourd’hui on ne l’emploie guère que pour les couplets de chansons.

Quelquefois on la composait entièrement d’alexandrins mais, en général, les stances isomètres en vers de douze syllabes ne doivent pas dépasser six vers. 

  • § 7. STANCE DE NEUF VERS.

Cette stance se divise ordinairement en un quatrain, un tercet et un distique.

  • 1er modèle.

Dans ces jours destinés aux larmes,

Où mes ennemis en fureur

Aiguisaient contre moi les armes

De l’imposture et de l’erreur ;

Lorsqu’une coupable licence

Empoisonnait mon innocence,

Le Seigneur fut mon seul recours

J’implorai sa toute-puissance[8],

Et sa main vint à mon secours. Rouss.

 

  • 2e modèle.

A vous[9], l’Anacréon du temple, A vous, le sage si vanté,

Qui nous prêchez la volupté

Par vos vers et par votre exemple ;

Vous dont le luth délicieux,

Quand la goutte au lit vous condamne,

Rend des sons aussi gracieux

Que quand vous chantez la tocane[10],

Assis à la table des dieux VoLT.

  •  3e modèle.

Vers de huit syllabes et vers alexandrin :

Quand pourrai-je dire à l’impie

Tremble, lâche, frémis d’effroi ;

De ton Dieu la haine assoupie

Est prête à s’éveiller sur toi.

Dans ta criminelle carrière,

Tu ne mis jamais de barrière

Entre sa crainte et tes fureurs ;

Puisse mon heureuse prière

D’un châtiment trop dû t’épargner les horreurs Rouss.

  • § 8. STANCE DE DIX VERS.

La stance de dix vers, ou le dizain, a un repos bien marqué après le quatrième vers, et un autre, plus faible, après le septième, en sorte qu’elle est partagée en un quatrain et en deux tercets.

La stance isomètre de dix vers de sept ou de huit syllabes et la plus familière à nos odes et la plus majestueuse

  • 1er modèle

J’ai vu mes tristes journées

Décliner vers leur penchant

Au midi de mes années

Je touchais à mon couchant.

La Mort, déployant ses ailes,

Couvrait d’ombres éternelles

La clarté dont je jouis ;

Et, dans cette nuit funeste,

Je cherchais en vain le reste

De mes jours évanouis. Rouss.

Fortune dont la main couronne

Ces forfaits les plus inouïs,

Du faux éclat qui t’environne

Serons-nous toujours éblouis ?

Jusques à quand, trompeuse idole,

D’un culte honteux et frivole

Honorerons-nous tes autels ?

Verra-t-on toujours tes caprices

Consacrés par les sacrifices

Et par l’hommage des mortels ? ID.

  • 2e modèle.

Vers de huit syllabes et vers alexandrins :

Flambeau dont la clarté féconde

Fait vivre et mouvoir tous les corps ;

Qui, sans épuiser tes trésors,

Ne cesses d’enrichir le monde ;

Doux père des fruits et des fleurs,

Qui par tes fertiles chaleurs

Achèves leur vive peinture,

Éternel arbitre des jours,

Brillant époux de la nature,

Soleil adore Dieu qui gouverne ton cours. GODEAU.

  • 3e modèle.

Ils chantent l’effroyable foudre

Qui, d’un mouvement si soudain,

Partit de ta puissante main

Pour mettre Pignerol en poudre ;

Ils disent que tes bataillons,

Comme autant d’épais tourbillons,

Ebranlèrent le roc jusques dans ses racines ;

Que même le vaincu t’eut pour libérateur,

Et que tu lui bâtis sur ses propres ruines

Un rempart éternel contre l’usurpateur. CHAPELAIN.

  • 4e modèle.

Vers alexandrins et vers de sept syllabes :

Lorsqu’en des tourbillons de flamme et de fumée,

Cent tonnerres d’airain, précédés des éclairs,

De leurs globes brûlants renversent une armée ;

Quand de guerriers mourants les sillons sont couverts

Tous ceux qu’épargne la foudre,

Voyant rouler dans la poudre

Leurs compagnons massacrés, Sourds à la pitié timide,

Marchent d’un pas intrépide

Sur leurs membres déchirés. VOLT

  • 5e modéle.

Trois mètres sont mélangés d’une manière très harmonieuse dans cette belle strophe de Le Brun 

Tel qu’aux cris de l’oiseau ministre du tonnerre,

Plus léger que les vents et plus prompt que l’éclair,

Un aigle, jeunes encore, élancé de la terre,

S’essaie à l’empire de l’air

En vain d’oiseaux jaloux une foule rivale

Veut le suivre, l’atteindre et voler son égal ;

Vainqueur il disparaît, et plane au haut des cieux

Tel, au cri d’Apollon, soudain brûlant de gloire,

J’irais, j’irais saisir le prix de la victoire

Loin des profanes yeux.

Remarque. Les repos que nous avons indiqués pour la stance isomètre de sept ou de huit syllabes, et que l’on voit dans presque tous les exemples précédents, sont de rigueur aujourd’hui. Racan, un des élèves de Malherbe, passe pour l’avoir soumise à cette régie. Son maître n’adopta pas la réforme, et l’on continua encore dans ce siècle à partager la stance de dix vers en deux quatrains suivis d’un distique, ou en un quatrain, un distique et un quatrain, rythmes moins variés et moins harmonieux :

Les Parques d’une même soie

Ne dévidèrent pas nos jours,

Ni toujours par semblable voie

Ne font les planètes leur cours.

Quoi que promette la Fortune,

A la fin, quand on l’importune,

Ce qu’elle avait fait prospérer

Tombe du faite au précipice,

Et, pour l’avoir toujours propice,

Il la faut toujours révérer. MALH.

Du temps de Louis XIII et de Louis XIV, on partageait assez souvent la stance de dix vers en un sixain et un quatrain. Cette méthode, plus heureuse que celle qui joint un distique à deux quatrains, aurait pu être consacrée mais la méthode usitée est encore préférable.

Racine n’avait pas dans l’oreille la véritable harmonie de ces strophes dans la même ode, il les coupe tantôt après le sixième vers, tantôt après le septième.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES.

  • 1° Nous aurions pu trouver dans les poètes antérieurs au siècle de Louis XIV bien d’autres modèles de stances ; mais nous avons négligé toutes celles qui violaient la règle que nous avons donnée au commencement de ce chapitre, savoir que deux rimes de même nature ne doivent pas commencer et finir une stance. Cette règle, fondée sur un principe général, a été longtemps ignorée. Malherbe y a manqué dans les stances suivantes :

Tel qu’au soir on voit le soleil

Se jeter aux bras du Sommeil,

Tel au matin il sort de l’onde.

Les affaires de l’homme ont un autre destin

Après qu’est parti du monde,

La nuit qui lui survient n’a jamais de matin.

Jupiter, ami des mortels,

Ne rejette de tes autels, etc.

Cependant les couplets qui sont chantés sur une même mélodie doivent avoir tous au même vers des rimes de même nature, et dans ce cas l’on tolère que le poète s’écarte du précepte général. 

Racine a mis, dans un chœur d’ester.

Rois, chassez la Calomnie

Ses criminels attentats

Des plus paisibles États

Troublent l’heureuse harmonie.

Sa fureur, de sang avide,

Poursuit partout l’innocent.

Rois, prenez soin de l’absent

Contre sa langue homicide.

  • 2° Nous avons dit que tes stances doivent être en rimes croisées. Jusque Malherbe, cette nécessité ne fut pas bien reconnue.

Ce petit enfant Amour

Cueillait des fleurs à l’entour

D’une ruche où les avettes[11]

Font leurs petites logettes. RONSARD.

Cette ode gracieuse du même poète offre également des rimes plates :

Gentil rossignol passager,

Qui t’es encor venu loger,

Dedans cette fraîche ramée,

Sur ta branchette accoutumée,

Et qui nuit et jour de ta voix

Assourdis les monts et les bois,

Redoublant[12] la vieille querelle

De Térée et de Philomène

  • 3° Les stances ne sont pas toujours terminées par un repos complet, marqué par un point. Quelquefois il n’y a qu’une simple suspension ce quia lieu lorsqu’on annonce un discours, lorsqu’on fait une énumération, lorsqu’on introduit une longue phrase secondaire, commençant ordinairement par si ou lorsque.

Ainsi nous voyons dans Rousseau :

Déesse des héros[13], qu’adorent en idée

Tant d’illustres amants, dont l’ardeur hasardée

Ne consacre qu’à toi ses vœux et ses efforts

Toi qu’ils ne verront point, que nul n’a jamais vue,

Et dont pour les vivants la faveur suspendue

Ne s’accorde qu’aux morts

Vierge non encor née, en qui tout doit renaître, etc.

Voici encore un exemple du même poète

Si du tranquille Parnasse

Les habitants renommés

Y gardent encor leur place,

Lorsque leurs yeux sont fermés ;

Et si, contre l’apparence,

Notre farouche ignorance

Et nos insolents propos,

Dans ces demeures sacrées,

De leurs âmes épurées

Troublent encor le repos ;

Que dis-tu, sage Malherbe,

De voir tes maîtres proscrits, etc.

  • 4° DE L’EMPLOI DES DIFFÉRENTES STANCES

Le poété peut n’être guidé dans le choix des stances que par le sentiment de l’harmonie. Mais d’autres fois (1) La Postérité. son dessein est plus déterminé il doit choisir son rythme non pas seulement pour flatter l’oreille, mais d’après le caractère des idées qu’il veut exprimer. En général, les stances dont les vers sont courts et peu nombreux conviennent aux sujets légers, aux peintures riantes ; au contraire, les stances qui ont beaucoup de vers, ou des vers d’une longue mesure, offrent une gravité plus propre à rendre des pensées élevées, des tableaux magnifiques.

La Harpe loue Rousseau d’avoir ainsi approprié ses stances à l’objet qu’il traitait. H cite la suivante :

Seigneur, dans ta gloire adorable :

Quel mortel est digne d’entrer ?

Qui pourra, grand Dieu, pénétrer

Ce sanctuaire impénétrable,

Où tes saints inclinés, d’un œil respectueux,

Contemplent de ton front l’éclat majestueux ?

Ces deux alexandrins, dit-il, où l’oreille se repose après quatre petits vers, ont une dignité conforme au sujet.

Dans la stance suivante, trois hexamètres se traînent lentement et se laissent tomber pour ainsi dire sur un vers qui n’est que la moitié d’un alexandrin :

Il n’est plus, et les dieux, en des temps si funestes,

N’ont fait que le montrer aux regards des mortels.

Soumettons-nous allons porter ces tristes restes

Au pied de leurs autels. Rouss.

La Harpe approuve encore le choix des mètres dans les stances célèbres que Malherbe adresse à Du Perrier, pour le consoler de !a perte de sa jeune fille 

Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle,

Et les tristes discours

Que te met dans l’esprit l’amitié paternelle

L’augmenteront toujours ?

Ce petit vers qui tombe régulièrement après le premier, peint bien l’abattement de la douleur. 

  • 5° DU MÉLANGE DES STANCES.

 Quelquefois le poète lyrique emploie alternativement diverses stances.

Ainsi nous lisons dans Le Franc de Pompignan :

Inspire-moi de saints cantiques,

Mon âme, bénis le Seigneur.

Quels concerts assez magnifiques,

Quels hymnes lui rendront honneur

L’éclat pompeux de ses ouvrages, Depuis la naissance des âges,

Fait l’étonnement des mortels ;

Les feux célestes le couronnent,

Et les flammes qui l’environnent

Sont ses vêtements éternels.

Ainsi qu’un pavillon tissu d’or et de soie,

Le vaste azur des cieux sous sa main se déploie ;

Il peuple leurs déserts d’astres étincelants.

Les eaux autour de lui demeurent suspendues ;

Il foule aux pieds les nues,

Et marche sur les vents.

D’autres fois, à certaines stances on fait succéder, dans la même pièce, des stances d’un autre système. Ce changement a lieu quand le poète entre dans un nouvel ordre d’idées, et qu’il juge un autre rythme plus propre à les exprimer.

 

 

[1] quelques auteurs appellent quintil une stance de cinq vers

[2] Isomètre mot grec qui signifie également mesure

[3] nous le verrons plus loin admis dans la stance de six vers et dans celle de dix

[4] Théocrite

[5] Phébus- l'époux d’Orithye, Borée

[6] M. de Lamartine employé cette stance, qui est très gracieuse :

Mais ton cœur endurci doute et murmure encore :

Ce jour ne suffit pas à tes yeux révoltés ;

Et dans la nuit des sens, tu voudras voir éclore

De l'éternelle aurore

Les célestes clartés

[7] On voit ici le repos après le quatrième vers

[8] Cette stance est une stance de dix syllabes écourtées. Il manque ici une rime en ance : à cela près, c'est la même coupe et la même

[9] A Chaulieu

[10] Vin mauvais effets de la même goutte

[11] Abeilles

[12] Répétant, redisant

[13] La postérité

Publié le 15/09/2024 / 36 lectures
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