Parole interdite

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     Des mains d'ombres couvrent ta bouche, tu ne peux t'exprimer, ta voix est coupée dans son élan, inaudible. Le coeur battant tu entends murmurer : « Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi ! » . Elles t'imposent le silence, d'elles, tu dois faire comme si tu ne les connaissais pas, tes mots intérieurs ne doivent pas être révélés aux siens, ils ne doivent pas trahir leurs actes. Garde le silence. Garde pour toi ce que tu sais. Etouffe tes cris, oublie ce que tu as compris, pour ta famille, pour lui, pour elle, sacrifie toi. C'est ta grand-mère respecte la, tu pourrais faire ça pour elle, tu verras si tu salis ma réputation, ne dis rien et subis, tu n'as pas le choix, c'est ton ami tu peux l'aider quand même, essaie de parler et tu le regretteras, tu diras que tu n'as rien vu. Tais-toi, tais-toi, tais-toi. Fais ce qu'elles te demandent. Souffre mais surtout ne dis rien. Si tu parles tu ne pourras pas revenir en arrière. Tu voudrais te débarrasser de ce savoir encombrant, douloureux, il se resserre sur toi, tu te sens à l'étroit, pris entre quatre murs, tu as besoin de sortir. De le sortir. Ne le fais pas, tu te sentiras coupable, honteux. Tu seras rejeté, plus personne ne t'aimeras, si tu le fais tu manqueras de respect. Il en va de la réputation de la famille, suis nous, ce n'est pas bon d'aller voir ailleurs, reste. Tu sais, tu nous décevra si tu fais ça, je suis ton ami tu ne peux pas me laisser tomber, ce sera juste une fois, et après on n'en parle plus, pourquoi tu ne l'as pas fait, c'est vraiment dommage. Tais-toi, tais-toi, tais-toi. N'essaie même pas d'être entendu. Fais comme si tout cela n'avait pas existé. Et s'ils cherchent à comprendre invente, fais semblant, dissimule. Que ta vie soit mensonge ! Ecrase toi dedans, soumets toi ! 

       Tu as la parole interdite, certes, mais pas un éternel silence. Pense à celle qui est écrite. Tu t'en souviens, et, à bout de souffle, sans céder à la pression, tu notes tout entre les pages : ta colère, devenue une boule de feu brûlant ton ventre, la peur qui tétanise tes membres, la tristesse qui roule sur ton cerveau, l'impuissance, le poids du secret qui broie ton coeur. Tout explose en un hurlement muet dont l'encre imbibe la feuille. Lignes après lignes tu révèles l'autodestruction de ton espèce par ton espèce, chose à laquelle tu es étranger. La vérité dégouline de tes pensées, se déverse sur le papier. Les autres finiront par la connaître, ils le doivent, il ne faut pas laisser ces mains gagner. Pour toi aussi tu dois t'exprimer si tu ne veux pas finir dans le noir complet d'une dalle de marbre.

       Le son du stylo qui gratte la feuille a remplacé celui de ta voix. Ton bras s'est armé pour se substituer à ce que l'on t'a retiré. Tu saisis leurs mains pour les arracher de ton visage, suffoquant, tu les tires. Tes doigts crispés sur elles les forcent à lâcher. Elles s'écartent soudain, tu respires, du calvaire c'est la fin, tu romps les chaînes de la culpabilité, c'est terminé. Leur déni ne t'a pas emporté, sous ta plume il s'est incliné. Loin des artifices vendus du sacrifice tu as retrouvé la douce mélodie de ta voix. La vérité éclot, aussi vive que la douleur qui l'accompagne. Les mots s'échappent, filent avant que ces mains n'essaient à nouveau de contrôler tes pensées, de te soumettre à leurs idées, de te tuer. Tant qu'il est encore temps conserve ta liberté car la parole interdite, même si elle a échoué, reviendra toujours essayer de te l'enlever. 

       Une question résonne dans ton esprit : Qu'en est-il des autres ? De ceux qui ne savnt pas écrire ? Ou qui n'ont aucun autre moyen d'expression ? De ceux qui ont peur, qui ne parviennent pas à trouver le courage ? Ils n'ont rien. Juste l'impuissance, l'inévitable mort lente. Le dépérissement dans la souffrance. Sauf si tu leur apporte ton aide, un sourire pour les rassurer, une voix qui saura leur parler, se taire pour les écouter, un geste qui changera leur quotidien. Si tu agis ainsi tu ne seras pas un héros, non, tu seras ce que les ombres n'ont pas sues être : un être humain.  


Publié le 07/04/2025 / 5 lectures
Commentaires
Publié le 09/04/2025
Bonsoir Lucie et bravo pour ton texte coup de poing qui est très puissant car les mots le sont, et d’emblée, avec « des mains d’ombres couvrent ta bouche » , et d’autre part parce que ce qui à fait souffrir et qui impose le silence n’est pas nommé, le sont que les sentiments, n’importe quelles victimes peuvent donc s’y retrouver. De nombreuses formules percutantes qui remuent, et puis les mots comme solutions et cette implacable question : qu’en est-il pour celles et ceux qui ne les ont pas comme alliés, et pour mettre un terme à ce qui est subit et pour purger la souffrance pour tenter de se reconstruire, peu à peu. Un texte salutaire. A plus tard Lucie.
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