Je viens de changer la finale de mon roman. Je suis content.
Je n’ai rien d’unique aux yeux de Martine. Notre histoire ne compte plus, ne compte pas. A-t-elle jamais compté ? Autant dire que rien ne s’est jamais passé. C’est d’ailleurs vrai, dans un sens rien ne s’est jamais passé. Et c’est dans ce sens justement que le coït ou pas, c’est le "On/Off" de la relation amoureuse. "On" on nique, "Off" on ne nique pas. Si on nique, on s’aime, si on ne nique pas, c’est qu’on ne s’aime pas.
Bertin était toujours très bien habillé, décontracté mais vraiment classe. Ses vêtements clairs, légers et amples se mariaient super bien avec sa peau d’ébène. Sa voiture aussi, une Peugeot 504 blanche, collait impeccablement au personnage détendu, relax de Bertin. À l’époque où lui, mon frère et moi étudiions à Mons, parfois, il nous véhiculait pour rentrer sur Lessines. En ce début de soirée là, le trajet, d’une quarantaine de kilomètres, était plus long que d’habitude à cause de la circulation dense, et mon frère plus loquace aussi, lui habituellement plutôt taiseux. Il parla de son amoureuse, ou plutôt de la cour qu’il lui faisait doucement, depuis un certain temps déjà. Alors, sans lâcher son volant, avec le large sourire du connaisseur, de celui qui sait de quoi il parle parce qu’il pratique assidûment, Bertin l’interrompît et de sa voix grave sous son accent congolais décréta "Philippe, maintenant, il est temps de conclure avec cette fille". C’est-à-dire niquer. Chez les toxiques il ne se passe quelque chose que quand on nique, baise, couche, fornique, tronche ou suce la pomme. Et ce quelque chose, ils l’appellent "la conclusion".
Dans leur monde, l’histoire se termine lorsqu’elle commence.
Martine était l’une des leurs, pas moi. J’ai essayé mais je n’ai jamais pu. J’ai bu cul sec une bonne crasse pinte, j’ai été l’époux aussi, j’ai finalement acheté une voiture neuve à crédit mais dans le fond, je n’y croyais pas. C’était ça mon malaise le samedi matin, le grain de sable dans la mécanique, ce lancinant besoin de me recroqueviller par terre et de laisser couler des larmes toujours sous pression. Ce n’était pas du regret, c’était le sentiment du primo-arrivant qui ne peut pas s’intégrer.
Mais pour l’amour ! Pour l’amour, Martine et moi, on aurait pu se comprendre parce que l’amour, c’est une parenthèse, c’est la bulle hermétique qui nous transforme en beaux, purs, magiques. Même pour les toxiques, les cannibales et les araignées, l’amour existe et lorsqu’ils s’y retrouvent, ils y sont superbes. Mais voilà puisque leur histoire d’amour se termine en commençant, la bulle enchantée leur pète à la tronche avant même d’être entièrement gonflée, des lambeaux gluants dégoulinant sur leurs cheveux, à travers leur visage et dans leurs yeux. Forcément, ça les énerve et ils deviennent encore plus toxiques, encore plus cannibales, encore plus araignées. Ils sont plus à plaindre qu'à blâmer.
C'est ce qui fait que même et surtout pour l’amour Martine et moi, ça ne pouvait pas coller. Dès le départ il y avait un malentendu linguistique, un quiproquo lexical, un imbroglio regrettable sur le sens des mots "Une histoire d’amour" et aussi une méprise quant au sens de l’histoire d’amour en terme de chronologie, de temps. Lorsque Martine cherchait la fin, je guettais un début.