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Mon petit saule pleureur (Temps de lecture : 2'14")

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Mon petit saule pleureur.

 

 

 

J’ai toujours aimé le saule pleureur. C’est peut-être mon côté fleur bleue. On se sent bien sous cet arbre, sous la compassion de ses branches. En installer un dans le jardin, j’y pense depuis quelque temps, mais sans que cela suscite grand enthousiasme à la maison. Luce n’est pas du genre à s’emballer à la moindre de mes initiatives. Patiemment elle les subit. Cet après-midi, je me suis décidé à ne plus attendre, je suis allé chercher un arbrisseau à la pépinière. Puisque je n’y connais rien, j’ai demandé à la spécialiste sur place de choisir pour moi. Elle m’a proposé le premier de la ligne, j’imagine qu’elle n’avait pas envie de se faire chier à aller m’en chercher un autre plus loin. Au cours de mes études à l’université, il y a une vingtaines d'années de cela, je prenais toujours la première fiche tendue par le prof lors des oraux, ça m’a plutôt bien réussi. Je vis sur la confiance et j’espère de vivre vieux. Bref, j’ai dit «Ok» et je suis parti avec cette petite vie quon me confiait en échange dun billet de cinquante. Petite vie de quatre mètres tout de même! Pas facile de linstaller sans la brutaliser, jai fait de mon mieux. Après un petit baiser et une caresse sur son jeune tronc, jai placé les racines à larrière, le feuillage passant par la vitre avant, la plus grosse branche coincée derrière le rétro. On a démarré. Sur la route, je lui parlais. «Tu vas voir, ce nest pas très loin, on sera vite arrivés.» En roulant, jentendais le son du vent dans les feuilles. Le même que celui que jentendais, gamin, quand avec mon frère on stoppait la barque au pied de l’île Desemberg. Papa, maman, Philippe et moi, on habitait un café le long de la Dendre, à centre mètres à peine, pour nous minuscules, de la péninsule sauvage bordée de saules pleureurs. Je ne me rappelle en fait pas l’image, c’est du son dont je me souviens, celui des fines feuilles un peu sèches qui incisent l’air en mouvement. J’ai roulé à vingt à l’heure tout du long jusque la maison. J’ai dû embêter quelques automobilistes et je n’aime pas ça, embêter les gens. Je fais toujours mon possible pour ne pas gêner, mais ici, j’ai poursuivi sur ma vitesse de bicyclette. Peut-être les gens ont-ils compris car personne n’a klaxonné. Devant le garage étroit, j’ai stoppé la voiture pour en extraire précautionneusement l’arbre. Le gars bloqué derrière n’était pas très content ni souriant. C’était juste une ombre derrière un pare-brise. J’ai pris le temps qu’il fallait pour bien faire les choses. En posant le saule sur la table de terrasse, je lui ai dit que j’arrivais tout de suite pour ne pas qu’il se fasse du souci. J’ai rentré la voiture dans le garage. L'ombre a disparu sans qu’il n’y ait rien à en dire. Que dire d'une ombre ?  J'ai couru me changer pour creuser comme on me l’avait expliqué, assez large pour ne pas contraindre les racines, pas trop profond dans une terre bien drainée et désherbée. Quand finalement j’ai installé l’arbrisseau, la nuit tombait. J’ai fixé les tuteurs du mieux que j’ai pu malgré l’obscurité, seulement éclairé à la lumière de ma frontale. Ces quelques heures ont déjà créé un lien entre lui et moi. Je sens que déjà je m’attache. J’espère que notre saule passera une bonne nuit, j’espère qu’il passera l’hiver sans trop souffrir, j’espère qu’il s’épanouira lors du prochain printemps. La nuit dernière, il était perdu dans la nuit épaisse. Quand j’ai voulu le montrer à Maurice depuis la maison, il était invisible. Jai hâte demain, vite pouvoir lui faire sa petite visite et plus tard faire les présentations. Plus tard car pour l’instant, il est encore convalescent, il n’a pas vraiment bonne mine. Dès qu’il aura la gueule un peu moins de travers, on fera une petite cérémonie avec tout autour la petite famille.

 


Publié le 17/11/2024 / 6 lectures
Commentaires
Publié le 17/11/2024
« Luce n’est pas du genre à s’emballer à la moindre de mes initiatives. Patiemment elle les subit. », j’ai trouvé admirable cette ouverture car son pragmatisme laisse envisager une remise en question à venir. Et pourtant « Puisque je n’y connais rien, j’ai demandé à la spécialiste sur place de choisir pour moi. » tu creuses en toute connaissance de cause dans l’idée jusqu’à réalisation personnelle… ou dans le cas précis, par procuration. C’est intéressant comment le jardin, qui était du simple descriptif, devient un personnage à part entière. Attention, cette transition est violente «  aller m’en chercher un autre plus loin. Au cours de mes études », on passe de l’humour de situation bien ancrée au présent (et efficace), à un retour en arrière auquel on ne s’attendait pas à ce moment : la rupture est sévère.cela fait plaisir de te voir travailler de nouveau avec assiduité et avec efficacité dans la perspective d’un nouvel opus.
Publié le 19/11/2024
Merci beaucoup Léo. Je crois que tu comprends assez bien mon cheminement. C'est compliqué de rester sincère et intense à travers son écriture. Je serai retraité dans 14 mois. Il me faudra bien cet intervalle de temps pour me remettre d'Ambre Gris. Mais entretemps, comme je l'ai fait jadis, je rédigerai de petits textes de la vie. ;-)
Publié le 19/11/2024
Bonjour Un fils de Louis ! J'aime beaucoup ce texte qui capture un moment de vie avec la réalisation de cette envie, de la part du personnage, d'avoir son arbre préféré à ses côtés. Il assume ce qu'il est en faisant cela et c'est plaisant à voir. De plus, rendre cet arbre humain sert la proximité affective qui se noue avec le personnage, c'est très bien pensé. Enfin, en lisant ce texte je ne pouvais pas ne pas penser à mon grand-père qui adorait le saule pleureur qui est le témoignage d'une poésie dont l'autrice est la nature.
Publié le 19/11/2024
Merci Lucie. Vous confirmez ce que je pense. Il faut pouvoir se projeter sur le personnage du film, du spectacle de théâtre ou de danse ou du roman pour pouvoir se faire embarquer. Merci pour votre lecture et votre petit mot aimable. ;-)
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