J'en ai plein les bottes d'être une déesse, les chasseurs d'autographes, les photos, les offrandes de mauvais goût, les attentions empressées juste parce que t'es une star,... Non, franchement, y'a des limites à la conscience professionnelle. Sans compter que si en plus t'es une divinité hermaphrodite, les gosses, tu te les farcis seule, et toutes les tâches ménagères aussi d'ailleurs. T'as beau t'appeler Gaya, c'est toi qui te coltines toutes les corvées. Tes adorateurs, ils n'imaginent pas une seconde que tu préférerais largement qu'ils se tapent le Colruyt à ta place plutôt que zigouiller une pauvre bête soit disant pour tes beaux yeux. Ça me fait une belle jambe à moi, un lapin blanc égorgé qui pourrit sur un socle en granit. Quand on n'y pense qu'à moitié, on se dit que ça doit être chouette d'être un grand nom de la mythologie mais en vrai, c'est carrément la merde. Tiens, l'autre jour, j'étais pénarde, j'avais pu refiler mes trois rejetons à Eros, qu'il est con, celui-là ! J'me dis, j'vais en profiter pour faire un peu de shopping avec les copines. On s'achète deux-trois babioles et on se décide à aller boire un verre pour papoter un peu entre bonnes femmes discrétos, mais sans les lunettes de soleil quand même, parce qu'avec, t'es encore plus vite repérée. Donc on rentre, Cybele, Vesta et moi, et on s'installe. On n'était pas encore assises qu'un type d'une trentaine d'années, pas mal mais, un peu bourré quand même me dit :
« Vous seriez pas Gaya par hasard ? Ouais, vous êtes Gaya ! On s'fait un p'tit billard ? »
« C'est gentil ! Si vous voulez je vous signe un truc, mais là, j'suis avec des copines. On a juste envie d'être un peu tranquilles. »
Le type prend la mouche.
« Ah ben voilà, Mâââdame est une déesse alors Mâââdame refuse de se commettre avec le petit peuple ! Allez quoi ! Juste une petite partie, en vitesse ! »
« Mais merde alors ! Y'a pas moyen d'avoir un peu la paix ? 'faut toujours qu'un connard arrive et me fasse chier ! Putain ! Non mais tu crois quoi ? Tu crois que j'ai que ça à foutre de faire des billards avec la moitié de la planète. Tu pourrais pas penser plus loin que le bout de ton petit nez de mortel ? Les mecs comme toi, ils me font chier depuis plus de trois mille ans ! Parce que tu crois que t'es tout seul ? Non, mais t'es barge mon p'tit père ! Tous les jours y'en a au moins une demi douzaine comme toi qui voudraient que je leur consacre un peu de temps juste pour pouvoir ensuite dire aux copains qu'ils ont causé avec la divine Gaya ! C'est bien simple, à cause de types comme toi, j'ose même plus sortir de chez moi. Même en Grèce, j'ai jamais vu des enculés comme toi !
Là, y'a Cybele qui a percuté que j'étais en train de péter les plombs. Elle et Vesta m'ont attrapée et m'ont tirée dehors sous les yeux médusés du type, bouche ouverte et queue de billard en main. Ça a été la goutte d'eau qui m'a mis la puce à l'oreille. Il fallait faire un break et partir loin, forcément avec les gosses, parce qu'Eros, il a beau être con, il faut quand même pas la lui faire à l'envers trop longtemps. J'ai choisi le Kenya, là au moins, j'étais sûr qu'on ne me reconnaîtrait pas.
J'vous raconte pas le passage à l'aéroport et les questions personnelles que n'importe qui se permet de te poser en te tutoyant en plus, ni les clins d’œil appuyés du flic qui tamponne ton passeport, ni le regard lourd du douanier dans ton décolleté de déesse,... comme des mouches sur un steak !
On s'installe dans l'avion, Ouranos, Ouréa, Pontos et moi. Je dois vous dire que c'est pas moi qui ai choisi des prénoms aussi nullos pour mes gamins. Tu vois, là encore tu crois que les dieux ont tous les droits. Et ben non ! Il y a tout un protocole là-dessus et moi, j'ai juste eu le droit de dire « Amen ». Du coup, quand je ne suis pas en présence de la reine mère et de toute sa clique, je les appelle, Oura, Ouré et Ponpon. Ça passe mieux, non ?
Arrivée à Nairobi ! Les vacances, enfin !
Dès notre arrivée à l'hôtel, petite douche et vamos à la playa ! On prend un taxi qui nous amène auprès des commerces balnéaires afin d'acheter le nécessaire ; Des serviettes, de la crème solaire, des cannettes de Fanta et de Coca, un ice bag, des jeux de plage, quatre parasols, des maga...
« Maman, on vient d'hypothéquer notre empreinte carbone pour vingt ans avec l'avion qui nous a amené ici. Tu as voulu qu'on prenne un taxi alors qu'il y avait des bus. Puis, tu vas nous mettre de la crème solaire qui finira dans la mer ! En plus, tu n'achètes que des produits conditionnés en emballages jetables soit disant recyclables. Et pour les serviettes, pourquoi n'as-tu pas amené celles de la maison ? Ouvre tes yeux ! Le monde a changé ! Tu ne peux plus vivre comme tu vivais il y a trois mille ans !"
C'était Ouré qui venait de parler. Ses deux frères hochaient la tête de bas en haut pour marquer leur plein accord. Ils avaient raison, nous étions six milliards sur la terre aujourd'hui. Je me sentais aussi stupide que le type avec sa queue de billard en main. Alors je leur ai dit :
"Vous avez raison mes enfants. Désormais je mettrai tous mes pouvoirs au service de l'environnement. Mais en attendant, un p'tit mars glacé ?"