Scène I
A Dunsinane.— Un appartement du château.
Entrent UN MÉDECIN ET UNE DAME suivante de la reine.
LE MÉDECIN. — Voilà deux nuits que je veille avec vous, et rien ne m’a confirmé la vérité de votre rapport. Quand lui est-il arrivé la dernière fois de se promener ainsi ?
LA DAME SUIVANTE. — C’est depuis que Sa Majesté est entrée en campagne : je l’ai vue se lever de son lit, jeter sur elle sa robe de nuit, ouvrir son cabinet, prendre du papier, le plier, écrire dessus, le lire, le cacheter ensuite, puis retourner se mettre au lit ; et pendant tout ce temps-là demeurer dans le plus profond sommeil.
LE MÉDECIN. — Il faut qu’il existe un grand désordre dans les fonctions naturelles, pour qu’on puisse à la fois jouir des bienfaits du sommeil et agir comme si l’on était éveillé. Dites-moi, dans cette agitation endormie, outre sa promenade et les autres actions dont vous parlez, que lui avez-vous jamais entendu dire ?
LA DAME SUIVANTE. — Ce que je ne veux pas répéter après elle, monsieur.
LE MÉDECIN. — Vous pouvez me le dire à moi, et cela est même très-nécessaire.
LA DAME SUIVANTE. — Ni à vous, ni à personne, puisque je n’ai aucun témoin pour confirmer mon récit. (Entre lady Macbeth, avec un flambeau.) Tenez, la voilà qui vient absolument comme à l’ordinaire ; et, sur ma vie, elle est profondément endormie. Observez-la ; demeurez à l’écart.
LE MÉDECIN. — Comment a-t-elle eu cette lumière ?
LA DAME SUIVANTE. — Ah ! elle était près d’elle : elle a toujours de la lumière près d’elle ; c’est son ordre.
LE MÉDECIN. — Vous voyez que ses yeux sont ouverts.
LA DAME SUIVANTE. — Oui, mais ils sont fermés à toute impression.
LE MÉDECIN. — Que fait-elle donc là ? Voyez comme elle se frotte les mains.
LA DAME SUIVANTE. — C’est un geste qui lui est ordinaire : elle a toujours l’air de se laver les mains ; je l’ai vue le faire sans relâche un quart d’heure de suite.
LADY MACBETH. — Il y a toujours une tache.
LE MÉDECIN. — Écoutez ; elle parle. Je veux écrire ce qu’elle dira, afin d’en conserver plus nettement le souvenir.
LADY MACBETH. — Va-t’en, maudite tache… ; va-t’en, te dis-je.—Une, deux heures.—Allons, il est temps de le faire.—L’enfer est sombre ! —Fi ! mon seigneur, fi ! un soldat avoir peur ! Qu’avons-nous besoin de nous inquiéter, qui le saura, quand personne ne pourra demander de comptes à notre puissance ? —Mais qui aurait cru que ce vieillard eut encore tant de sang dans le corps ?
LE MÉDECIN, à la dame suivante. — Remarquez-vous cela ?
LADY MACBETH. — Le thane de Fife avait une femme : où est-elle maintenant ? —Quoi ! ces mains ne seront-elles jamais propres ? —Plus de cela, mon seigneur, plus de cela : vous gâtez tout par ces tressaillements.
LE MÉDECIN. — Allez-vous-en, allez-vous-en ; vous avez appris ce que vous ne deviez pas savoir.
LA DAME SUIVANTE. — Elle a dit ce qu’elle ne devait pas dire, j’en suis sûre. Dieu sait tout ce qu’elle a su !
LADY MACBETH. — Il y a toujours là une odeur de sang. Tous les parfums de l’Arabie ne peuvent purifier cette petite main ! —Oh ! oh ! oh !
LE MÉDECIN. — Quel profond soupir ! Le cœur est cruellement chargé.
LA DAME SUIVANTE. — Je ne voudrais pas avoir un pareil cœur dans mon sein, pour les grandeurs de tout ce corps.
LE MÉDECIN. — Bien, bien, bien.
LA DAME SUIVANTE. — Je prie Dieu qu’il en soit ainsi, docteur.
LE MÉDECIN. — Cette maladie est au-dessus de mon art : cependant j’ai connu des personnes qui se promenaient durant leur sommeil, et qui sont mortes saintement dans leur lit.
LADY MACBETH. — Lavez vos mains, mettez votre robe de nuit, ne soyez pas si pâle. Je vous le répète, Banquo est enterré, il ne peut pas sortir de son tombeau.
LE MÉDECIN. — Et cela encore ?
LADY MACBETH. — Au lit, au lit : on frappe à la porte ; venez, venez, venez, donnez-moi votre main. Ce qui est fait ne peut se défaire. Au lit, au lit, au lit !
(Elle sort.)
LE MÉDECIN. — Va-t-elle retourner à son lit ?
LA DAME SUIVANTE. — Tout droit.
LE MÉDECIN. — Il a été murmuré d’horribles secrets.—Des actions contre nature produisent des désordres contre nature. Le sourd oreiller recevra les confidences des consciences souillées.—Elle a plus besoin d’un prêtre que d’un médecin. Dieu ! Dieu ! pardonne-nous à tous.— Suivez-la ; écartez d’elle tout ce qui pourrait la déranger, et ayez toujours les yeux sur elle ; je pense, mais je n’ose parler.
LA DAME SUIVANTE. — Bonne nuit, cher docteur.
(Ils sortent.)
Scène II
Dans la campagne, près de Dunsinane.
Entrent avec des enseignes et des tambours MENTEITH, CAITHNESS, ANGUS, LENOX, des soldats.
MENTEITH. — L’armée anglaise approche : elle est conduite par Malcolm, son oncle Siward et le brave Macduff. La vengeance brûle dans leur cœur : une cause si chère exciterait l’homme le plus mort au monde à se lancer dans le sang et les terreurs de la guerre.
ANGUS. — Nous ferons bien d’aller les joindre près de la forêt de Birnam ; c’est par cette route qu’ils arrivent.
CAITHNESS. — Qui sait si Donalbain est avec son frère ?
LENOX. — Certainement non, seigneur, il n’y est pas. J’ai une liste de toute cette noblesse : le fils de Siward en est, ainsi qu’un grand nombre de jeunes gens encore sans barbe, et qui vont pour la première fois faire acte de virilité.
MENTEITH. — Que fait le tyran ?
CAITHNESS. — Il fait fortifier solidement le grand château de Dunsinane. Quelques-uns disent qu’il est fou ; d’autres, qui le haïssent moins, appellent cela une courageuse fureur. Mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne peut plus boucler la ceinture de la règle sur une cause aussi malade.
ANGUS. — Il sent maintenant ses meurtres secrets blesser ses propres mains. A chaque instant de nouvelles révoltes viennent lui reprocher son manque de foi. Ceux qu’il commande n’obéissent qu’à l’autorité, et nullement à l’amour. Il commence à sentir la dignité souveraine l’embarrasser de son ampleur inutile, comme la robe d’un géant volée par un nain.
MENTEITH. — Qui pourra blâmer ses sens troublés de reculer et de tressaillir, quand tout ce qui est en lui se reproche sa propre existence ?
CAITHNESS. — Marchons ; allons porter notre obéissance à qui elle est légitimement due. Allons trouver le médecin de cet État malade ; et versons avec lui jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour le remède de notre patrie.
LENOX. — Tout ce qu’il en faudra du moins pour arroser la fleur royale et noyer les mauvaises herbes. Dirigeons notre marche vers Birnam.
Scène III
A Dunsinane.— Un appartement du château.
Entrent MACBETH, LE MÉDECIN ; suite.
MACBETH, aux personnes de sa suite. — Ne m’apportez plus de rapports. Qu’ils s’envolent tous ; jusqu’à ce que la forêt de Birnam se mette en mouvement vers Dunsinane, la crainte ne pourra m’atteindre. Qu’est-ce que ce petit Malcolm ? n’est-il pas né d’une femme ? Les esprits, qui connaissent tout l’enchaînement des causes de mort, me l’ont ainsi déclaré : « Ne crains rien, Macbeth ; nul homme né d’une femme n’aura jamais de pouvoir sur toi. » — Fuyez donc, perfides thanes, et allez vous confondre avec ces épicuriens d’Anglais. L’esprit par lequel je gouverne et le cœur que je porte ne seront jamais accablés par l’inquiétude, ni ébranlés par la crainte— (Entre un domestique.) Que le diable te grille, vilain à face de crème ! où as-tu pris cet air d’oison ?
LE DOMESTIQUE. — Seigneur, il y a dix mille…
MACBETH. — Oisons, misérable !
LE DOMESTIQUE. — Soldats, seigneur.
MACBETH. — Va-t’en te piquer la figure pour cacher ta frayeur sous un peu de rouge, drôle, au foie blanc de lis[1]. Quoi, soldats ! vous voilà de toutes les couleurs ! —Mort de mon âme ! Tes joues de linge apprennent la peur aux autres. Quoi, soldats ! des visages de petit-lait !
LE DOMESTIQUE. — L’armée anglaise, sauf votre bon plaisir…
MACBETH. — Ôte-moi d’ici ta face.– Seyton ! —Le cœur me manque quand je vois…. —Seyton ! —De ce coup je vais être mis à l’aise pour toujours, ou jeté à bas.— J’ai vécu assez longtemps, la course de ma vie est arrivée à l’automne, les feuilles jaunissent, et tout ce qui devrait accompagner la vieillesse, comme l’honneur, l’amour, les troupes d’amis, je ne dois pas y prétendre : à leur place ce sont des malédictions prononcées tout bas, mais du fond de l’âme ; des hommages de bouche, vain souffle que le pauvre cœur voudrait refuser et n’ose. — Seyton !
(Entre Seyton.)
SEYTON. — Quel est votre bon plaisir ?
MACBETH. — Quelles nouvelles y a-t-il encore ?
SEYTON. — Tout ce qu’on a annoncé est confirmé, seigneur.
MACBETH. — Je combattrai jusqu’à ce que ma chair tombe en pièces de dessus mes os.— Donne-moi mon armure.
SEYTON. — Vous n’en avez pas encore besoin.
MACBETH. — Je veux la mettre. Envoie un plus grand nombre de cavaliers parcourir le pays, qu’on pende ceux qui parlent de peur. Donne-moi mon armure.—Comment va votre malade, docteur ?
LE MÉDECIN. — Elle n’est pas si malade, seigneur, qu’obsédée de rêveries qui se pressent dans son imagination et l’empêchent de reposer.
MACBETH. — Guéris-la de cela. Ne peux-tu donc soigner un esprit malade, arracher de la mémoire un chagrin enraciné, effacer les soucis gravés dans le cerveau, et, par la vertu de quelque bienfaisant antidote d’oubli, nettoyer le sein encombré de cette matière pernicieuse qui pèse sur le cœur ?
LE MÉDECIN. — C’est au malade en pareil cas à se soigner lui-même.
MACBETH. — Jette donc la médecine aux chiens ; je n’en veux pas.— Allons, mets-moi mon armure ; donne-moi ma lance. —Seyton, envoie la cavalerie.—Docteur, les thanes m’abandonnent.—Allons, monsieur, dépêchez-vous.—Docteur, si tu pouvais, à l’inspection de l’eau de mon royaume[2], reconnaître sa maladie, et lui rendre par tes remèdes sa bonne santé passée, je t’applaudirais à tous les échos capables de répéter mes applaudissements.— (A Seyton.) Ôte-la, te dis-je.—Quelle sorte de rhubarbe, de séné, ou de toute autre drogue purgative, pourrais-tu nous donner pour nous évacuer de ces Anglais ? En as-tu entendu parler ?
LE MÉDECIN. — Mon bon seigneur, les préparatifs de Votre Majesté nous en disent quelque chose.
MACBETH, à Seyton. — Porte-la derrière moi.– Je n’ai à craindre ni mort, ni ruine, jusqu’à ce que la forêt de Birnam vienne à Dunsinane.
(Il sort.)
LE MÉDECIN. — Si j’étais sain et sauf hors de Dunsinane, il ne serait pas aisé de m’y faire rentrer pour de l’argent.
(Il sort.)
Scène IV
Dans la campagne près de Dunsinane, et en vue d’une forêt.
Entrent avec des enseignes et des tambours MALCOLM, LE VIEUX SIWARD ET SON FILS, MACDUFF, MENTEITH, CAITHNESS, ANGUS, LENOX, ROSSE ; soldats en marche.
MALCOLM. — Cousins, j’espère que le jour n’est pas loin où nous serons en sûreté chez nous.
MENTEITH. — Nous n’en doutons nullement.
SIWARD. — Quelle est cette forêt que je vois devant nous ?
MENTEITH. — La forêt de Birnam.
MALCOLM. — Que chaque soldat coupe une branche d’arbre et la porte devant lui : par-là nous dissimulerons à l’ennemi notre force, et tromperons ceux qu’il enverra à la découverte.
LES SOLDATS. — Vous allez être obéi.
SIWARD. — Nous n’avons rien appris, si ce n’est que le tyran, plein de confiance, se tient ferme dans Dunsinane et nous y laissera mettre le siège.
MALCOLM. — C’est sa principale ressource, car, partout où l’on en trouve l’occasion, les grands et les petits se révoltent contre lui. Il n’est servi que par des machines qui lui obéissent de force, tandis que leurs cœurs sont ailleurs.
MACDUFF. — Nous jugerons justement après l’événement qui ne trompe point. Ne négligeons aucune des ressources de l’art militaire.
SIWARD. — Le temps approche où nous apprendrons décidément ce que nous avons et ce que nous devons. Les idées spéculatives nous entretiennent de leurs espérances incertaines, mais les coups déterminent l’événement d’une manière positive : c’est à ce but qu’il faut que la guerre marche.
(Ils se mettent en marche.)
Scène V
A Dunsinane.—Intérieur du château.
Entrent avec des enseignes et des tambours MACBETH, SEYTON, soldats.
MACBETH. — Plantez notre étendard sur le rempart extérieur. On crie toujours : Ils viennent ! Mais la force de notre château se moque d’un siége. Qu’ils restent là jusqu’à ce que la famine et les maladies les consument. S’ils n’étaient pas renforcés par ceux mêmes qui devraient combattre pour nous, nous aurions pu hardiment les aller rencontrer face à face, et les reconduire battant jusque chez eux.— Quel est ce bruit ?
(On entend derrière le théâtre des cris de femmes.)
SEYTON. — Ce sont des cris de femmes, mon bon seigneur.
MACBETH. — J’ai presque oublié l’impression de la crainte. Il fut un temps où mes sens se seraient glacés an bruit d’un cri nocturne ; où tous mes cheveux, à un récit funeste, se dressaient et s’agitaient comme s’ils eussent été doués de vie : mais je me suis rassasié d’horreurs. Ce qu’il y a de plus sinistre, devenu familier à mes pensées meurtrières, ne saurait me surprendre.—D’où venaient ces cris ?
SEYTON. — La reine est morte, mon seigneur.
MACBETH. — Elle aurait dû mourir plus tard : il serait arrivé un moment auquel aurait convenu une semblable parole. Demain, demain, demain, se glisse ainsi à petits pas d’un jour à l’autre, jusqu’à la dernière syllabe du temps inscrit ; et tous nos hier n’ont travaillé, les imbéciles, qu’à nous abréger le chemin de la mort poudreuse[3]. Éteins-toi, éteins-toi, court flambeau : la vie n’est qu’une ombre qui marche ; elle ressemble à un comédien qui se pavane et s’agite sur le théâtre une heure ; après quoi il n’en est plus question ; c’est un conte raconté par un idiot avec beaucoup de bruit et de chaleur, et qui ne signifie rien.— (Entre un messager.) Tu viens pour faire usage de ta langue : vite, ton histoire.
LE MESSAGER. — Mon gracieux seigneur, je voudrais vous rapporter ce que je puis dire avoir vu ; mais je ne sais comment m’y prendre.
MACBETH. — C’est bon, parlez, mon ami.
LE MESSAGER. — J’étais de garde sur la colline, et je regardais du côté de Birnam, quand tout à l’heure il m’a semblé que la forêt se mettait en mouvement.
MACBETH le frappant. — Menteur ! misérable !
LE MESSAGER. — Que j’endure votre colère si cela n’est pas vrai ; vous pouvez, à la distance de trois milles, la voir qui s’approche : c’est, je vous le dis, un bois mouvant.
MACBETH. — Si ton rapport est faux, tu seras suspendu vivant au premier arbre, jusqu’à ce que la famine te dessèche. Si ton récit est véritable, peu m’importe que tu m’en fasses autant : je prends mon parti résolument, et commence à douter des équivoques du démon qui ment sous l’apparence de la vérité : Ne crains rien jusqu’à ce que la forêt de Birnam marche sur Dunsinane, et voilà maintenant une forêt qui s’avance vers Dunsinane.— Aux armes, aux armes, et sortons ! —S’il a vu en effet ce qu’il assure, il ne faut plus songer à s’échapper d’ici, ni à s’y renfermer plus longtemps.—Je commence à être las du soleil, et à souhaiter que toute la machine de l’univers périsse en ce moment.—Sonnez la cloche d’alarme.—Vents, soufflez ; viens, destruction ; du moins nous mourrons le harnais sur le dos.
(Ils sortent.)
Scène VI
Toujours à Dunsinane.— Une plaine devant le château.
Entrent avec des enseignes et des tambours MALCOLM, LE VIEUX SIWARD, MACDUFF, ROSSE, LENOX, ANGUS, CAITHNESS, MENTEITH, et leurs soldats portant des branches d’arbres,
MALCOLM, aux soldats. — Nous voilà assez près : jetez ces rideaux de feuillage, et montrez-vous pour ce que vous êtes.— Vous, mon digne oncle, avec mon cousin votre noble fils, vous commanderez le premier corps de bataille. Le brave Macduff et nous, nous nous chargerons de tout ce qui restera à faire, suivant le plan arrêté entre nous.
SIWARD. — Adieu ; joignons seulement l’armée du tyran ; et je veux être battu si nous n’en venons pas aux mains dès ce soir.
MACDUFF. — Faites parler toutes nos trompettes : donnez toute leur voix à ces bruyants précurseurs du sang et de la mort.
(Ils sortent. Bruit continuel d’alarmes.)
Scène VII
Toujours à Dunsinane.— Une autre partie de la plaine.
Entre MACBETH.
MACBETH. — Ils m’ont attaché à un poteau ; je ne peux fuir, mais, comme l’ours, il faut que je me batte à tout venant. Où est celui qui n’est pas né de femme ? Voilà l’homme que je dois craindre, ou je n’en crains aucun.
(Entre le jeune Siward.)
LE JEUNE SIWARD. — Quel est ton nom ?
MACBETH. — Tu seras enrayé de l’entendre.
LE JEUNE SIWARD. — Non, quand tu porterais un nom plus brûlant qu’aucun de ceux des enfers.
MACBETH. — Mon nom est Macbeth.
LE JEUNE SIWARD. — Le diable lui-même ne pourrait prononcer un nom plus odieux à mon oreille.
MACBETH. — Non, ni plus redoutable.
LE JEUNE SIWARD. — Tu mens, tyran abhorré : mon épée va prouver ton mensonge.
(Ils combattent. Le jeune Siward est tué.)
MACBETH. — Tu étais né de femme. Je me moque des épées ; je me ris avec mépris de toute arme maniée par l’homme qui est né de femme.
(Il sort.— Alarme.)
(Rentre Macduff.)
MACDUFF. — C’est de ce côté que le bruit s’est fait entendre. Tyran, montre-toi ! Si tu es tué sans avoir reçu un coup de ma main, les ombres de ma femme et de mes enfants ne cesseront de m’obséder. Je ne puis frapper sur de misérables Kernes, dont les bras sont loués pour porter leur lance. Ou toi, Macbeth, ou le tranchant de mon épée, demeuré inutile, rentrera dans le fourreau sans avoir frappé un seul coup. Tu dois être par là ; ce grand cliquetis que j’entends semble annoncer un guerrier du premier rang. Fais-le moi trouver, Fortune, et je ne te demande plus rien.
(Il sort.— Alarme.)
(Entrent Malcolm et le vieux Siward.)
SIWARD. — Par ici, mon seigneur : le château s’est rendu sans efforts ; les soldats du tyran se partagent entre nous et lui. Les nobles thanes font bravement leur devoir de guerriers. La journée s’est presque entièrement déclarée pour vous, et il reste peu de chose à faire.
MALCOLM. — Nous avons rencontré des ennemis qui frappaient à côté de nous.
SIWARD. — Entrons, seigneur, dans le château.
(Ils sortent.—Alarme.)
(Rentre Macbeth.)
MACBETH. — Pourquoi ferais-je ici sottement le Romain, et mourrais-je sur ma propre épée ? Tant que je verrai devant moi des vies, les blessures y seront bien mieux placées.
(Rentre Macduff.)
MACDUFF. — Retourne, chien d’enfer, retourne.
MACBETH. — De tous les hommes tu es le seul que j’aie évité : va-t’en, mon âme est déjà trop chargée du sang des tiens.
MACDUFF. — Je n’ai rien à te dire, ma réponse est dans mon épée, misérable, plus sanguinaire qu’aucune parole ne pourrait l’exprimer.
(Ils combattent.)
MACBETH. — Tu perds ta peine. Tu pourrais aussi facilement imprimer sur l’air subtil le tranchant de ton épée que faire couler mon sang. Que ton fer tombe sur des têtes vulnérables : ma vie est sous un charme qui ne peut céder à un homme né de femme.
MACDUFF. — N’espère plus en ton charme, et que l’ange que tu as toujours servi t’apprenne que Macduff a été arraché avant le temps du sein de sa mère.
MACBETH. — Maudite soit la langue qui a prononcé ces paroles, car elle a subjugué la meilleure partie de moi-même ! et que désormais on n’ajoute plus de foi à ces démons artificieux qui se jouent de nous par des paroles à double sens, qui tiennent leurs promesses à notre oreille en manquant à notre espoir.—Je ne veux point combattre avec toi.
MACDUFF. — Rends-toi donc, lâche, et vis pour être exposé aux regards de notre temps. Ton portrait, comme celui des monstres les plus rares, sera suspendu à un poteau ; et au-dessous sera écrit : « C’est ici qu’on voit le tyran. »
MACBETH. — Je ne me rendrai point pour baiser la poussière devant les pas du jeune Malcolm, et pour être poussé à bout par les malédictions de la populace. Quoique la forêt de Birnam ait marché vers Dunsinane, et que je t’aie en tête, toi qui n’es pas né de femme, je tenterai un dernier effort. Je couvre mon corps de mon bouclier de guerre. Attaque-moi, Macduff : damné soit celui de nous deux qui criera le premier : « Arrête, c’est assez. »
(Ils sortent en combattant. Retraite.—Fanfares.)
(Rentrent, avec des enseignes et des tambours, Malcolm, le vieux Siward, Rosse, Lenox, Angus, Caithness, Menteith, soldats.)
MALCOLM. — Je voudrais que ceux de nos amis qui nous manquent fussent arrivés en sûreté.
SIWARD. — Il en faudra perdre quelques-uns. Cependant, par ceux que je vois ici, nous n’aurons pas acheté cher une si grande journée.
MALCOLM. — Macduff nous manque, ainsi que votre noble fils.
ROSSE, à Siward. — Votre fils, monseigneur, a payé la dette d’un soldat : il n’a vécu que pour devenir un homme, et n’a pas eu plutôt prouvé sa valeur, par l’intrépidité de sa contenance dans le combat, qu’il est mort en homme.
SIWARD. — Il est donc mort ?
ROSSE. — Oui, et on l’a emporté du champ de bataille. Votre affliction ne doit pas être mesurée sur son mérite, car alors elle n’aurait point de terme.
SIWARD. — A-t-il reçu ses blessures par devant ?
ROSSE. — Oui, au front.
SIWARD. — Eh bien donc ! qu’il devienne le soldat de Dieu ! Eussé-je autant de fils que j’aide cheveux, je ne leur souhaiterais pas une plus belle mort : ainsi le glas est sonné pour lui.
MALCOLM. — Il mérite plus de regrets ; c’est à moi à les lui rendre.
SIWARD. — Il a tout ce qu’il mérite : on dit qu’il est bien mort, et qu’il a payé ce qu’il devait. Ainsi, que Dieu soit avec lui ! —(Rentre Macduff, avec la tête de Macbeth à la main.) Voici de nouveaux sujets de joie.
MACDUFF. — Salut, roi, car tu l’es. Vois, je porte la tête maudite de l’usurpateur. Notre pays est libre. Je te vois entouré des perles de ton royaume : tous répètent mon hommage dans le fond de leurs cœurs. Que leurs voix s’unissent tout haut à la mienne : « Salut, roi d’Écosse ! »
TOUS. — Roi d’Écosse, salut !
(Fanfares.)
MALCOLM. — Nous ne laisserons pas écouler beaucoup de temps avant de compter avec les services de votre zèle, et sans vous rendre ce que nous vous devons. Mes thanes et cousins, désormais soyez comtes, les premiers que jamais l’Écosse ait vus honorés de ce titre. Ce qui nous reste à faire, tous les actes nouveaux nécessités par la circonstance, comme le rappel de ceux de nos amis qui se sont exilés pour fuir les pièges de l’inquiète tyrannie ; la recherche des cruels ministres de ce boucher défunt et de son infernale compagne qui, à ce qu’on croit, s’est détruite de ses propres mains ; ces devoirs, et tous les autres qui nous regardent, avec le secours de la grâce, nous les exécuterons à mesure en temps et lieu. Je vous rends grâces à tous ensemble et à chacun en particulier, et je vous invite tous à venir nous voir couronner à Scone.
(Tous sortent au bruit des fanfares.)
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE
1 - La blancheur du foie passait pour une preuve de lâcheté.
2 - Cast
Cast the water était alors l’expression anglaise pour examiner les urines.
3 -
To light se prend quelquefois pour to lighten, alléger, et je crois que c’en est ici la signification. Les jours passés n’ont point éclairé, mais allégé ou abrégé le chemin que nous avons à faire jusqu’à la mort. Les commentateurs ne paraissent pas l’avoir entendu dans ce sens.