Un homme âgé, fatigué, peut-être alité, sait qu’une éclipse
de Soleil aura lieu, sans doute la dernière à laquelle il pourra assister. Il ferme les yeux et s’imagine la vivre avec un de ses petits-enfants.
« Tu sais.
On peut aller sur la colline, s’asseoir dos à dos. Tu regarderas ta première éclipse, elle sera inoubliable. Bien sûr, tu me diras que je ne la verrai pas, c’est vrai. Je préfère revivre une éclipse à moi, celle de mes huit ans, quand j’avais ton âge.
Après bien des années de songes et de rêveries, je peux créer mes mondes imaginaires derrière mes paupières à bout de souffle. Tout ce que j’ai vu : personnes, villes, tableaux, tous les livres avalés et leurs héros d’aventures et bien d’autres émotions ; j’en dispose à ma guise.
Plus tard, je te raconterai mon éclipse, le silence d’alors, le chemin de terre et son fossé aux abords de la ville. Et ma main dans celle de mon père pendant ces quelques minutes…
Aujourd’hui, je veux aussi être cette ombre courbée qui envahit la terre et balaie plaines, mers et montagnes. Jusque dans nos souffles, elle s’infiltre, voit tout, réjouit, fait rêver, apaise ou inquiète hommes et animaux. Ombre, je me répandrai comme une douce inondation bienfaisante. Dans ce temps presque figé, je verrai et saurai peut-être toutes choses depuis…
Tu regarderas le ciel, lorsque la lumière reviendra, tu seras excité et tu me tireras de ma rêverie. Je mettrai ma main sur ton épaule et nous rentrerons à la maison.
Tu te souviendras à jamais de ma bizarrerie et tu diras à tes parents : « Papy a regardé de l’autre côté, là où on ne voit rien. Moi, j’ai tout vu ! ». Ils resteront pensifs. »
Cette dernière éclipse, je la veux à ma façon, en tenant la main d’un enfant du fils ou de la fille que je n’ai pas eu.