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Les toilettes

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C'est la première histoire que je partage avec vous, écrite il y a deux ans. Elle porte un regard sur les différences culturelles que j'ai vécues et ressenties.

 

« Les toilettes »

 

Je suis entrée dans les toilettes et j’ai fermé la porte. Une fois assise, j’ai essayé de ne produire aucun bruit pendant que j’urinais, car les toilettes étaient situées en plein milieu des bureaux. Ce qui était fascinant, c’est que mes collègues faisaient de même : pas un seul son, sauf celui de la chasse d’eau à la fin. (Techniques d’urination silencieuse).

 

C’est à ce moment-là que je me suis demandé pourquoi on ne nous avait jamais appris à utiliser les toilettes de manière la plus silencieuse et la plus hygiénique possible, alors qu’on attend de nous ce type de comportement.

 

Dans différentes langues, les toilettes portent des noms variés. En anglais, on dit restroom, littéralement « salle de repos ». Oui, une salle de repos… Mais repos de quel type ? Serait-ce parce qu’on peut enfin baisser son pantalon et accomplir une action nécessaire à notre corps, une action qui nous libère de douleurs internes ? Mais attention, il faut le faire en silence, et sans laisser d’odeurs désagréables, surtout si vous êtes une femme. Alors, au final, ce n’est pas si reposant que ça ! En réalité, on est là pour accomplir notre besoin tout en donnant l’impression aux autres qu’on est extrêmement distinguée, avec la toilette la plus silencieuse et la plus parfumée du siècle.

 

En persan, on dit toilette. En français aussi, ce mot signifie un lieu de soin et de propreté. Oui, un endroit pour se purifier et se mettre en ordre, mais où il faut tout de même se forcer un peu… en silence, bien sûr. Et attention, on ne peut pas y rester trop longtemps, car une file d’attente pourrait rapidement se former devant la porte.

 

En Iran, les toilettes sont souvent équipées d’un tuyau d’eau avec de l’eau froide ou chaude, ce qui permet de se laver après. Une fois habituée à cela, il devient difficile de s’en passer ailleurs : dans chaque toilette étrangère, on cherche désespérément de l’eau.

 

Quand je suis arrivée en France, j’ai découvert que certaines toilettes avaient des peintures et des œuvres d’art accrochées aux murs. Au début, ça m’a paru étrange. Pourquoi décorer les toilettes ? Puis j’ai compris que ce n’était pas une si mauvaise idée : pendant qu’on se « détend », on entre dans un état d’esprit presque méditatif, ce qui nous rapproche peut-être de l’âme de l’artiste et de ses inspirations. Une fois, à Paris, je suis même tombée sur des toilettes avec une mini bibliothèque. Mais, bien sûr, il n’y avait que le temps de lire les titres des livres avant de sortir : ici, les toilettes ne sont pas faites pour qu’on s’y attarde. En fait, cette bibliothèque avait probablement pour but de nous faire découvrir quelques titres. J’imagine la scène où quelqu’un rencontre un écrivain et lui demande une dédicace, puis ajoute : « Je vous ai découvert… dans des toilettes ! »

 

En chinois, les toilettes se disent xǐshǒujiān, ce qui signifie littéralement « lieu pour se laver les mains ». Donc, si vous avez besoin d’y aller, vous devez utiliser cette métaphore et dire : « Je vais me laver les mains », même si, en réalité, vous allez répondre à un autre besoin.

 

Mais alors que le mot est très indirect, l’expérience elle-même est incroyablement directe. Dans certaines toilettes en Chine, il y a une porte… si on peut appeler ça une porte. C’est une demi-porte, qui laisse voir vos jambes de l’extérieur quand vous êtes accroupie, et votre tête et votre torse une fois debout. À l’intérieur, on doit s’accroupir au-dessus d’un canal d’eau courant sur le sol. Une fois que vous êtes assis, vos pieds en position accroupie sont bien visibles. Et quand vous vous relevez pour remonter votre pantalon, tout le monde peut vous voir.

 

Pour moi, cette expérience n’a pas seulement effacé l’idée de « salle de repos » de mon esprit, mais l’a remplacée par celle d’« une salle de l’horreur ».

 

Après ces réflexions intenses, j’ai fini par sortir, refermer la porte des toilettes derrière moi, et laisser mes pensées en suspend… jusqu’à la prochaine toilette.


Publié le 18/12/2024 / 6 lectures
Commentaires
Publié le 19/12/2024
Ce n'est pas banal d'aborder pour un premier texte public ce thème aussi surprenant et tabou. Et c'est ce courage et cette liberté de ton, sur fond documentaire que j'ai trouvé original et donc digne d'intérêt. Et puis probablement aussi parce que je vient de regarder le week-end dernier "Perfect Days" de Wim Wenders qui offre cette fois une immersion dans les toilettes japonaises, d'une grande plénitude, presque érigée comme une oeuvre d'art tant l'esthétisme, la propreté rende ce lieux improbable démesurément humain car comme l'écrivait Montaigne : "Sur le plus haut trône du monde, on n'est jamais assis que sur son cul.". Merci Sahar de ce partage inattendu qui dit beaucoup sur les représentations et cette sempiternelle quête de dignité.
Publié le 19/12/2024
Un ami auteur aujourd'hui disparu me lançait des défis pour écrire sur des thèmes difficiles et tabous et je ne manquais pas de répondre à ces défis. Selon lui, le travail d'auteur était similaire à un travail d'acteur qui deviendrait d'autant meilleur qu'il parviendrait à écrire sur tout, sans honte, avec détachement, incarner toutes les situations notamment les plus viles et complexes de l'être humain... ces fameux rôles de composition sur lesquels on apprend à s'effacer et s'affranchir ainsi du jugement du lecteur. Car on peut tout écrire lorsque l'on parvient à faire ce travail exigent et couteux, soumis à la potentielle opprobre des autres. Et il pensait, que c'est ainsi aussi que l'on réussit à capter l'attention et à toucher au coeur et à l'âme, à passer des messages, en traitant de ce qui dérange et met mal à l'aise. J'ai lu l'été dernier Bukowski et Fante et je me suis dit qu'aujourd'hui on finirait en prison ou que le tribunal populaire vous condamnerait à la cancel culture. Bref... je vais essayer de retrouver ce texte écrit sur les chiottes et je le publierai probablement à nouveau ici.
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