Deuil,
Quand j'ai appris la mort de mon père, alors qu'il devait sortir le lendemain de l'hôpital, j'ai filé en Bourgogne. 4 heures de route. Suis arrivée à la nuit tombée. Ai demandé les clés du funérarium à ma mère. Voulais le voir sans attendre. Il pleuvait des cordes. Je sentais une sorte d'angoisse me pénétrer malgré moi.
Je suis rentrée dans la chambre funéraire. Mobilier de velours rouge. Teintures rouges. Rideaux épais tout aussi rouges. Chandeliers dorés. J'ai pensé au film Dracula et à du sang. J'avais peur, sans savoir pourquoi. Ai aperçu le corps, de loin. Puis, distingué le visage de mon père. On aurait dit au moins un centenaire. Marqué par l'alcool, le tabac, la souffrance des dernières années- d' hôpital en hôpital- Il avait pris cher ! Faisait 20 ans de plus. Un vieillard de 72 ans.
Je me suis approchée. J'ai pensé : « au moins l'embrasser ». Au moment où je lui ai posé un baiser sur le front. Terreur ! Il se lève et m'amène avec lui en enfer. J'ai fait un bond en arrière. 2 secondes d'effroi. L'ai regardé. N'avait pas bougé. C'est la table réfrigérante qui s'était mise en route. Me suis moquée de moi-même. Avais-je eu si peur de mon père enfant ? De ses ivresses ? De l'enfer ?
Ne pouvais plus m'en approcher. La panique ressentie était encore là. Me suis enfuie sous la pluie.
Je suis retournée voir le cadavre de mon père le lendemain. Trouvais la décoration atroce. Mais la peur avait disparu. J'étais triste et sereine. N'arrivais pas à pleurer. Après l'enterrement, l'église était pleine et trop petite même - ce père, connu comme le loup blanc - Comme le loup garou parfois, dans ma tête d'enfant, comme un diable recouvert de suie, alors qu'il était si généreux aussi. Suis repartie à Blois, en voiture. 4 heures de route. Les larmes sont venues d'un seul coup, me brouillant les yeux, sans jamais s'interrompre. « Faut que j'arrête », ai-je pensé, vais avoir un accident. Sur l'autoroute, je doublais 2 camions qui me redoublaient sans cesse, en me mouchant, en reniflant, prise par les sanglots. Les routiers, eux, m'ont prise en étau. N'ai pas compris tout-de-suite. Ils klaxonnaient, me faisaient des signes. Je suis restée placée entre leurs deux véhicules. Ils me protégeaient. Je n'ai jamais vu leur visages.
2 inconnus qui ont compris que je roulais n'importe comment, qui me voyaient, peut-être, pleurer du haut de leurs cabines. Ne voyais, moi, qu'un de leurs bras ou leur coude, parfois appuyé sur le rebord d'une vitre baissée, et la fumée d'une cigarette.
On a roulé 2 heures à 90 kilomètres à l'heure, jamais plus ni moins. Je roulais comme une automate, fixant le camion de devant comme mon chef de file. Celui de derrière ne m' a plus jamais redoublée. Ai songé, les vrais anges gardiens, ce sont eux. Des êtres humains ordinaires. Sinon ça n'existe pas. Juste avant la sortie de Blois, je leur ai fait des signes pour les remercier. J'ai klaxonné moi aussi, au rythme des victoires. Ils m'ont sauvé la vie. Je ne saurai jamais qui ils étaient.
Après le décès de mon père, j'ai plané. Une amie d'enfance qui a perdu son fils une semaine après, avait comme trouvé la foi d'un seul coup. Elle m' avait dit :
Regarde les oiseaux. Ils sont les messagers de Dieu. Je suis heureuse que ton père puisse veiller sur mon fils.
Je jubilais. Il me semblait sentir la main de mon père dans la mienne en permanence. Je voyais des signes partout. Ainsi, les morts n'étaient pas morts. L'invisible était là, qui m'entourait. Il suffisait de l'accueillir avec plénitude. Me sentais si joyeuse et apaisée que les gens venaient à ma rencontre, spontanément. Il me semble avec le recul, que j'aurais pu alors faire gourou facilement. Il suffisait d'être convaincue, et d'exprimer une joie indicible pour convaincre.
Un jour, me rendant à Poitiers, j'ai vu des signes. J'en étais sûre ! Je roulais dans une sorte d'exaltation béate. Quand j'ai vu le panneau : Tournelas ». Obéissant à Dieu, j'ai braqué le volant à gauche d'un seul coup, sans réfléchir, puisque Dieu me guidait. J'ai failli me faire couper en deux par un camion. Depuis ce jour, je suis redescendue sur terre et n'ai plus jamais vu de signes. Je n'ai jamais retrouvé la foi non plus.
Des psychologues diraient simplement que j'ai fait mon deuil.
Ce n'est que ma propre expérience, qui ne sera pas celle d'un autre. Tout ce que je sais, c'est que depuis ce jour, je préfère les signes terrestres aux signes célestes imaginés.