La soirée du voyage des rhétos se profile

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J'avais convaincu la classe de partir en Provence, région que j'adorais pour l'avoir fréquentée à plusieurs reprises durant les trois derniers étés. La première fois que je m'y étais rendu, c'était pour rejoindre Monique, en 1979, en Ardèche ! J'avais 16 ans et j'avais fait la route seul en auto-stop. A l'arrivée, elle m'avait largué mais l'environnement m'avait définitivement conquis. Cette année, ce serait le Vaucluse, notre professeur d'histoire, Monsieur Ducastel, avait en effet choisi Orange comme point de chute ; des tas de visites plus passionnantes les unes que les autres, d'après lui, rehausseraient le niveau de notre voyage. Nous allions bouffer du monde romain durant une semaine entière... Pourquoi pas ? Je savais qu'il y aurait des compensations... Contact fût pris avec l'agence de voyage Deportemont à Lessines mais lorsque qu'elle nous remit son offre, ce fut la douche froide ; le prix était exorbitant, l'autocar vétuste et il n'y avait pas moins de quatre hôtels pour nous loger tous ! Je me suis muté en voyagiste. J'ai transformé le living de la maison familiale en bureau et je me suis mis à passer des coups de fil. En 1982, internet n'existait pas et le prix des communications téléphoniques internationales était élevé mais papa et maman, pourtant pas très riches, n'ont pas même fait une remarque. Assis sur le vieux divan en velours, je m'activais. Les larges accoudoirs en bois aggloméré plaqué chêne supportaient mes nombreuses notes. Pour mon confort, j'avais posé le téléphone près de moi, sur une espèce de piédestal ramené du Congo par parrain Michel des années auparavant. Le fil téléphonique, un peu court, tendu, passait devant la porte d'entrée à 50 centimètres au dessus du vieux carrelage, obligeant toute la famille à emprunter la porte de la cour pour ses entrées et sorties. Mais ça en valait la peine. Le prix global du voyage a baissé de plus de vingt pourcents, le vieux car a été troqué contre un modèle plus récent et surtout, nous serions répartis dans deux hôtels. C'était là l'essentiel car je voulais pouvoir rejoindre Martine dans sa chambre. Sur deux hôtels, c'était jouable, sur quatre, pas une seconde. Du coup, j'avais quand même un dernier problème arithmétique à résoudre, loger 56 personnes, 52 élèves et 4 professeurs, dans deux hôtels qui offraient 29 et 27 lits, sachant que parmi les élèves, il y avait 25 filles et 27 garçons et que le préfet des études avait exigé que les logements soient aussi peu mixtes que possible. Parmi l'ensemble des élèves, trois couples, Maryline et Philippe, Véronique et Marc, Martine et moi. La solution était évidente, 25 filles, deux garçons et deux professeurs d'un côté, 25 garçons et deux professeurs de l'autre. Évidemment, je me trouvais parmi les deux garçons ! Philippe et moi partagerions une chambre double ainsi que Maryline et Martine. Tant pis pour Véronique et Marc...

 

Le vingt à vingt heures, j'attendais le car avec tous les copains et les copines. Ma petite valise en cuir brun était bien rangée avec les autres bagages sagement alignés contre la façade de l'hôtel de ville. On était surexcités, nous les sept ou huit squatteurs de la troisième porte, rassemblés en fumant des clopes et en hurlant de rire à la moindre plaisanterie tellement on était dans les starting blocks de nerfs. Les autres, eux, semblaient plus calmes, plus sages. Comme à leur habitude, ils étaient déjà grands ou jouaient à l'être. On distingue les mêmes deux groupes d'individus lors des décollages aéronautiques ; il y a les déjà grands qui ont leur nez dans leur livre ou les yeux rivés sur l'écran vidéo qui leur fait face et il y a les autres, dont je suis, les émotifs ou plutôt les émerveillables, je devrais dire. Quand je me trouve dans un Boeing qui s'arrache à la gravité terrestre avec ses 250 tonnes, je suis sur le cul et je ne peux pas m'en cacher. Quand je sens la poussée gigantesque des deux réacteurs sous mes fesses et dans mon dos, j'en suis complètement retourné et je me dis que l'esprit humain est absolument merveilleux et ça m'émeut, ça m'ébranle au plus profond de moi. Sur la grand-place, en 1982, encore à l'embarquement, nous les expansifs on avait besoin d'exprimer notre enthousiasme avant la longue route que je savais ne pas faire en compagnie de Martine. En effet, plus d'un an auparavant, alors que j'attendais le bus en sa compagnie, j'avais eu l'outrecuidance de tirer la tronche parce qu'elle avait préféré papoter avec son amie Marie-Christine plutôt qu'avec moi. Elle m'avait alors dit "L'amitié aussi, c'est important, Patrice. Je ne supporterai pas longtemps que tu fasses la tête lorsque je passe un peu de temps avec une amie." Depuis cette phrase, l'une des quatre que j'ai retenues, j'étais au courant de ses priorités. Je n'avais donc pas discuté lorsqu'elle m'avait dit qu'elle s'installerait avec Maryline pour la route vers Orange. Nous serions ensemble pour le retour. Amen !

 

Sur la route, dans le car, après des heures de chansons paillardes à exaspérer nos accompagnateurs, le gros de la troupe a fini par succomber aux assauts de la fatigue. Nous ne sommes quelque peu sortis de notre calamiteux sommeil que lorsque, pour une pause pipi et un expresso, au petit jour, nous nous sommes arrêtés à Valence. Une bonne heure plus tard, arrivés à Orange, où le thermomètre avait grimpé de plus de dix degrés sans sommation, mes camarades et moi attendions, debout, dans une chaleur suffocante nos clefs de chambre. Les garçons étaient à l'hôtel du bon repos et les filles, Philippe et moi patientions dans le bar-restaurant de l'hôtel de la Source. Plusieurs escadrilles de mouches nous attaquaient sans relâche, sous une chaleur écrasante qu'aucun système de conditionnement d'air ne venait pondérer, car à l'époque, de clim, en France, on en voyait rarement la queue.

 

Le lendemain, nous sommes rentrés de la visite des arènes d'Arles un peu plus tôt que prévu. Il restait deux heures à tuer avant le repas du soir. Philippe et moi avons imaginé de les mettre à profit pour nous retrouver seuls avec nos amoureuses. Alors que Maryline irait le rejoindre dans notre chambre, la 17, j'irais retrouver Martine dans la 16, celle qu'elle partageait avec Marilyne. Heureux hasard ou magie organisationnelle, les deux chambres étaient l'une en face de l'autre.

 


Publié le 28/12/2022 /
Commentaires
Publié le 31/12/2022
Merci Patrice pour ce nouveau texte d'une époque empreinte de nostalgie, dans laquelle pour avoir les choses, il fallait vraiment l'entreprendre. Tout est comme à l'accoutumée très bien écrit et surtout décrit, que ce soit l'environnement mais surtout tes sentiments et tes états d'âmes, tes apprentissages et surtout ta diplomatie pour obtenir le meilleur d'une période où outre le prix du voyage, tout semble se nourrir d'amour et d'eau fraîche. J'espère qu'il y a une suite de ce voyage.
Publié le 31/12/2022
Bien sûr il y a une suite à ce voyage qui est le début d'une descente aux enfers qui durera presque 17 ans. A la suite du texte que tu viens de lire et de commenter pour mon plus grand plaisir et avantage, viendra le texte sans doute le plus dur à écrire. J'y suis resté bloqué durant près d'un mois. Là, je pense avoir trouvé la perspective. Il s'agit de décrire la relation sexuelle idéale pour Maurice mon fils, il faut que ce soit suffisamment clair et didactique mais il faut que ça reste léger, gai à lire et surtout pas vulgaire. J'espère que ce site que j'aime tant survivra assez longtemps pour que je puisse y poster petit à petit tous mes textes qui s'enchaîneront. Si ce n'était pas le cas, j'aimerais vraiment avoir les mails des trois ou quatre auteurs-lecteurs qui m'entourent ici avec tant d'intelligence. Bise !
Publié le 31/12/2022
Bonjour Patrice, pour être très honnête, iPagination l'entreprise est en train de vivre ses dernières heures de l'année et de sa vie. La faute aux crises successives et à l'inflation galopante, on aura lutté avec courage et panache mais ça n'aura pas suffit. Nous sommes malheureusement certains que le pôle édition ne sera pas repris, tous les auteurs sont au courant et compréhensifs, je suis d'ailleurs très ému de leur gentillesse et mots réconfortants.Mais je te promets que nous faisons le maximum pour que cette plateforme d'écriture et de partage reste ouverte. Nous serons définitivement fixés d'ici une quinzaine de jours au mieux, d'ici la fin du mois de janvier au plus tard. Bien évidement nous ne perdrons pas une minute à communiquer dès que nous connaîtrons l'épilogue. Au point où nous en sommes, nous avons une part d'optimisme raisonnable non négligeable pour que cette plateforme survive. Bon courage dans l'écriture de cette suite très dure à écrire et qui me questionne beaucoup au lu de ton commentaire. Bon courage.
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