L’intégrale des Claudine, de Colette
Claudine à Paris : chapitre 5

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Eh bien, ce n’est pas si terrible de sortir seule dans Paris. J’ai rapporté de ma petite course à pied des observations très intéressantes : 1 o il fait plus, beaucoup plus chaud qu’à Montigny ; 2 o on a le dedans du nez noir quand on rentre ; 3 o on se fait remarquer quand on stationne seule devant les kiosques à journaux ; 4 o on se fait également remarquer quand on ne se laisse pas manquer de respect sur le trottoir.

Narrons l’incident relatif à l’observation no 4. Un monsieur très bien m’a suivie, rue des Saints-Pères. Pendant le premier quart d’heure, jubilation interne de Claudine. Suivie par un monsieur très bien ; comme dans les images d’Albert Guillaume ! Deuxième quart d’heure : le pas du monsieur se rapproche, je presse le mien, mais il garde sa distance. Troisième quart d’heure : le monsieur me dépasse, en me pinçant le derrière d’un air détaché. Bond de Claudine, qui lève son parapluie et l’assène sur la tête du monsieur, avec une vigueur toute fresnoise. Chapeau du monsieur dans le ruisseau, joie immense des passants, disparition de Claudine confuse de son trop grand succès.

 

Tante Cœur est très gentille. Avec un mot aimable, elle m’a envoyé une chaînette en or, pour le cou, coupée par des petites perles rondes de dix en dix centimètres. Fanchette trouve ce bijou charmant ; elle a déjà aplati deux chaînons, et elle mâche les perles sur ses grosses dents, comme un lapidaire.

 

En me préparant pour le dîner de jeudi, je songe à mon décolletage. Il est tout petit petit, mais si j’allais paraître encore trop maigre ? Assise dans mon cuveau, toute nue, je constate que je me remplume un peu ; mais il y a encore à faire. Une chance que mon cou est resté solide ! Ça me sauve. Tant pis pour les deux petites salières d’en dessous ! Je perds mon temps dans l’eau chaude, à compter mes osselets dans le dos, à mesurer si j’ai la même longueur des aines aux pieds que des aines au front, à me pincer le mollet droit parce que ça correspond dans l’omoplate gauche. (À chaque pinçon, une drôle de petite piqûre derrière l’épaule.) Et quelle joie pure de pouvoir accrocher mes pieds derrière ma nuque ! Comme disait la grande Anaïs, cette sale : « Ça doit être rudement amusant de pouvoir se ronger les ongles de pieds ! »

Mon Dieu que j’ai peu de gorge ! (À l’école, ça s’appelle des nichons et Mélie dit des tétés.) Je songe à nos « Concours » d’il y a trois ans, pendant les rares promenades du jeudi.

Sur une lisière de bois, dans un chemin creux, nous nous asseyions en rond, — nous, les quatre grandes — et nous ouvrions nos corsages. Anaïs (quel toupet !) montrait un coin de peau citronnée, gonflait son estomac et disait avec aplomb. « Ils ont beaucoup forci depuis le mois dernier ! » Je t’en fiche ! Le Sahara ! Luce, blanche et rose, dans sa chemise rude de pensionnaire — des chemises à poignet sans même un feston, c’est la règle — découvrait un « vallonnement médian », à peine indiqué, et deux pointes roses et petites comme les mamelles de Fanchette. Marie Belhomme… le dessus de ma main. Et Claudine ? Un petit coffre bombé, mais à peu près autant de seins qu’un garçon un peu gras. Dame, à quatorze ans… L’exhibition terminée, nous refermions nos corsages, avec l’intime conviction, chacune, d’en avoir beaucoup plus que les trois autres.

Ma robe de mousseline blanche, bien repassée par Mélie, me semble encore assez gentille pour que je la revête sans maussaderie. Mes pauvres beaux cheveux ne la caressent plus jusqu’aux reins ; mais ils me coiffent si drôlement, courts et bouclés jusqu’au coin des yeux, que je ne languis pas trop après ma toison de jadis, ce soir. Mille troupeaux de porcs ! (comme dit Papa), il ne s’agit pas d’oublier ma chaîne en or.

— Mélie, Papa s’habille ?

— S’ment que de trop, qu’il s’habille. Il m’a « brégé » déjà trois faux-cols. Va donc y mettre sa crévate.

— J’y cours. Mon noble père est ficelé dans un habit noir un peu démodé, un peu beaucoup démodé, mais il ne peut pas ne point être imposant.

— Applette, applette, papa, il est sept heures et demie. Mélie, tu feras dîner Fanchette. Ma cape en drap rouge, et filons.

 

Ce salon blanc, avec des poires électriques dans tous les coins, me rendra épileptique. Papa pense comme moi, déteste cet aspect crème cher à sa sœur Wilhelmine, et le proclame sans ambages :

— Tu me croiras, si tu veux, je me ferais fesser en place publique plutôt que de coucher dans ce saint-honoré.

Mais le joli Marcel arrive et embellit tout de sa présence. Qu’il est charmant ! Mince et léger dans un smoking, les cheveux d’un blond de lune, sa peau translucide se veloute aux lumières comme un intérieur de volubilis. Pendant qu’il nous dit bonsoir, j’ai bien vu que ses clairs yeux bleus m’inspectaient prestement.

Tante Cœur le suit, éblouissante ! Cette robe de soie gris-perle, à volants de chantilly noir, date-t-elle de 1867 ou de 1900 ? De 1867 plutôt, seulement un cent-gardes se sera un peu assis sur la crinoline. Les deux bandeaux gris sont bien gonflés et bien lisses ; ce regard un peu pâle sous les paupières tombantes et fripées, elle a dû autrefois l’étudier si bien, d’après la comtesse de Téba, qu’il donne son effet tout seul. Elle marche en glissant, porte les emmanchures basses, et se montre pleine… d’urbanité. « Urbanité » est un substantif qui lui sied aussi bien que ses bandeaux.

Pas d’autres invités que nous. Mais, bon sang, on s’habille chez tante Cœur ! À Montigny, je dînais en tablier d’école, et papa gardait le vêtement impossible à nommer — houppelande, redingote, pardessus, un produit bâtard de tout ça, — qu’il avait revêtu depuis le matin pour faire paître ses limaces. Si on se décollète dans l’intimité stricte, qu’est-ce que je mettrai pour les grands dîners ? Peut-être ma chemise à bretelles en ruban rose…

(Claudine, ma vieille, trêve de digressions ! Tu vas tâcher de manger correctement et de ne pas dire, quand on passera un plat que tu n’aimes pas : « Enlevez, ça me rebute ! »)

Bien entendu, je m’assieds à côté de Marcel. Pitié-malheur ! La salle à manger est blanche aussi ! Blanche et jaune, mais c’est quasiment. Et les cristaux, les fleurs, la lumière électrique, tout ça fait un raffut sur la table, à croire qu’on l’entend. C’est vrai, ces pétillements de lumière me donnent une impression de bruit.

Marcel, sous l’œil attendri de tante Cœur, fait la jeune fille du monde et me demande si je m’amuse à Paris. Un « non » farouche est d’abord tout ce qu’il obtient. Mais bientôt je m’humanise un peu, parce que je mange une petite timbale aux truffes qui consolerait une veuve de la veille, et je condescends à expliquer :

— Vous comprenez, je me doute bien que je m’amuserai plus tard, mais, jusqu’à présent, j’ai une peine extrême à m’habituer à l’absence des feuilles. Les troisièmes étages, à Paris, n’abondent pas en « talles » vertes.

— En quoi… vertes ?

— En « talles » ; c’est un mot fresnois, ajouté-je avec une certaine fierté.

— Ah ! c’est un mot de Montigny ? Pas banal ! « Des talles verrrtes, » répète-t-il, taquin, en roulant l’r.

— Je vous défends de m’écharner [1] ! Si vous croyez que c’est plus élégant votre r parisien qu’on grasseye du fond de la gorge, comme un gargarisme !

— Fi ! la sale ! Est-ce que vos amies vous ressemblent ?

— Je n’avais pas d’amies. Je n’aime pas beaucoup avoir des amies. Luce avait la peau douce, mais ça ne suffit pas.

— « Luce avait la peau douce… » Quelle drôle de façon d’apprécier les gens !

— Pourquoi drôle ? Au point de vue moral, Luce n’existe pas. Je la considère au point de vue physique, et je vous dis qu’elle a les yeux verts et la peau douce.

— Vous vous aimiez bien ?

(La jolie figure vicieuse ! Que ne lui dirait-on pas pour voir luire ces yeux-là ? Vilain petit garçon, va !)

— Non, je ne l’aimais guère. Elle, oui ; elle a bien pleuré quand je suis partie.

— Mais, alors, qui lui préfériez-vous ?

Ma tranquillité enhardit Marcel, il me prend peut-être pour une oie et me poserait volontiers des questions plus précises ; mais les grandes personnes se taisent un instant, pendant qu’un domestique à figure de curé change les assiettes, et nous nous taisons, déjà un peu complices.

Tante Cœur promène de Marcel à moi son regard bleu et lassé.

— Claude, dit-elle à papa, regardez comme ces deux enfants se font mutuellement valoir. Le teint mat de votre fille et ses cheveux touchés de reflets de bronze, et ses yeux profonds, toute cette apparence brune d’une petite fille qui n’est pas brune blondit encore mon chérubin, n’est-ce pas ?

— Oui, répond papa avec conviction ; il est beaucoup plus fille qu’elle.

Son chérubin et moi, nous baissons les yeux comme il sied à des gosses gonflés, à la fois, d’envie de pouffer et d’orgueil. Et le dîner se poursuit sans autres confidences. Une admirable glace à la mandarine me détache d’ailleurs de toute autre préoccupation.

 

Au bras de Marcel, je reviens au salon. Et tout de suite on ne sait plus que faire. Tante Cœur semble avoir des choses austères à confier à papa, et nous écarte :

— Marcel, mon mignon, montre un peu l’appartement à Claudine. Tâche qu’elle s’y sente un peu chez elle, sois gentil…

— Venez, me dit le « mignon », je vais vous faire voir ma chambre.

J’avais bien pensé qu’elle était blanche, elle aussi ! Blanche et verte, avec des roseaux minces sur fond blanc. Mais tant de blancheurs m’inspirent à la fin l’envie inavouable d’y verser des encriers, des tas d’encriers, de barbouiller les murs au fusain, de souiller ces peintures à la colle, avec le sang d’une coupure au doigt… Dieu ! comme je deviendrais perverse dans un appartement blanc !

Je vais droit à la cheminée où je vois un cadre à photographie. Empressé, Marcel tourne le bouton d’une ampoule électrique au-dessus de nous.

— C’est mon meilleur ami,… Charlie, presque un frère. N’est-ce pas qu’il est bien ?

(Beaucoup trop bien, même : les yeux foncés aux cils courbes, un rien de moustache noire au-dessus d’une bouche tendre, la raie de quart, comme Marcel.)

— Je vous crois qu’il est beau ! Presque aussi beau que vous, dis-je sincèrement.

— Oh ! bien plus ! s’écrie-t-il avec feu, la photographie ne saurait rendre la peau blanche, les cheveux noirs. Et c’est une âme si charmante…

Et patia-patia ! Ce joli saxe s’anime enfin. J’écoute sans broncher le panégyrique du splendide Charlie, et quand Marcel se ressaisit, un peu confus, je réplique d’un air convaincu et naturel :

— Je comprends. C’est vous qui êtes sa Luce.

(Il a fait un pas à reculons, et, sous la lumière crue, je vois ses jolis traits qui durcissent et son teint impressionnable qui se décolore insensiblement.)

— Sa Luce ? Claudine, qu’est-ce que vous voulez dire ?

Avec l’aplomb que je dois à deux coupes de champagne, je secoue les épaules :

— Mais oui, sa Luce, son chouchou, sa chérie, quoi ! Il n’y a qu’à vous voir, est-ce que vous avez l’air d’un homme ? C’est donc ça que je vous trouvais si joli !

Et comme, immobile, il me regarde à présent d’une façon glaciale, j’ajoute de plus près, en lui souriant bien en face :

— Marcel, je vous trouve tout aussi joli à présent, croyez-le bien. Est-ce que je ressemble à quelqu’un qui voudrait vous causer des ennuis ? Je vous taquine, mais je ne suis pas méchante, et il y a beaucoup de choses que je sais très bien regarder en silence, — et écouter aussi. Je ne serai jamais la petite cousine à qui son pauvre cousin se croit forcé de faire la cour, comme dans les livres. Songez donc, dis-je encore en riant, que vous êtes le petit-fils de ma tante, mon neveu à la mode de Bretagne ; Marcel, ce serait presque de l’inceste.

Mon « neveu » prend le parti de rire, mais il n’en a pas encore grande envie.

— Ma chère Claudine, je crois en effet que vous ne ressemblez pas aux petites cousines des bons romans. Mais je crains que vous n’ayez rapporté de Montigny l’habitude des plaisanteries un peu… risquées. S’il y avait eu là quelqu’un pour nous entendre, grand’mère, par exemple… ou votre père…

— Je n’ai fait que vous rendre la pareille, dis-je fort doucement. Et je n’ai pas jugé à propos d’attirer l’attention des parents, quand vous me questionniez sur Luce avec tant d’insistance.

— Vous aviez plus à perdre que moi, à attirer l’attention !

— Pensez-vous ? Je crois que non. Ces petites amusettes-là, ça s’appelle pour les gamines « jeux de pensionnaires », mais quand il s’agit de garçons de dix-sept ans, c’est presque une maladie…

Il fait de la main un geste violent.

— Vous lisez trop ! Les jeunes filles ont trop d’imagination pour bien comprendre ce qu’elles lisent, fussent-elles originaires de Montigny.

(J’ai mal travaillé. Ce n’est pas là que je voulais en venir.)

— Est-ce que je vous ai fâché, Marcel ? Je suis bien maladroite ! Moi qui voulais seulement vous prouver que je n’étais pas une oie, que je savais comprendre… comment dire ? goûter certaines choses… Voyons, Marcel, vous n’exigez pourtant pas que je voie en vous le potache à gros os et à grands pieds qui fera un jour le plus beau des sous-officiers ! Regardez-vous, n’êtes-vous pas, Dieu merci, presque tout pareil à la plus jolie de mes camarades d’école ? Donnez-moi la main…

(Oh ! fille manquée ! Il n’a souri, furtivement, qu’aux compliments trop vifs. Il me tend sa petite patte soignée, sans mauvaise grâce.)

— Claudine, méchante Claudine, rentrons vite en passant par la chambre à coucher de grand’mère. Je ne suis plus fâché, encore un peu estomaqué seulement. Laissez-moi réfléchir. Vous ne me semblez pas, vous, un trop mauvais garçon

Ça m’est bien égal, son ironie ! Le voir bouder et le voir sourire après, c’est tout un bonheur. Je ne plains guère son ami aux cils courbes, et je leur souhaite à tous deux de se disputer souvent.

D’un air bien naturel, — oh ! bien naturel — nous poursuivons le tour du propriétaire. Quel bonheur, la chambre de tante Cœur est adéquate (aïe donc !) à sa propriétaire ! Elle y a rassemblé — ou exilé — les meubles de sa chambre de jeune fille, les souvenirs de son beau temps. Le lit en palissandre à moulures, et les fauteuils en damas rouge qui ressemblent tous au trône de Leurs Majestés Impériales, et le prie-Dieu en tapisserie hérissé de sculptures en chêne, et une copie criarde d’un bureau de Boule, et des consoles en veux-tu en voilà. Du ciel de lit dégoulinent des rideaux de damas, et la garniture de cheminée, amas informe et compliqué d’amours, d’acanthes, de volutes en bronze doré, me remplit d’admiration. Marcel méprise abondamment cette chambre, et nous nous disputons à propos du style moderne et du blanc d’œufs battus. Ce chamaillis esthétique nous permet de regagner, plus calmes, le salon où papa, sous la pluie douce et tenace des conseils de tante Cœur, bâille comme un lion en cage.

— Grand’mère, s’écrie Marcel, Claudine est impayable ! Elle préfère votre chambre au reste de l’appartement.

— Petite fille, dit ma tante en me caressant de son sourire languide, ma chambre est fort laide, pourtant…

— … Mais elle vous va bien, tante. Pensez-vous que vos bandeaux « cordent » avec ce salon ? Dieu merci, vous le savez bien, puisque vous avez conservé un coin de votre vrai cadre !

Ce n’est peut-être pas un compliment, ça, mais elle se lève et vient m’embrasser très gentiment. Tout à coup, papa bondit et tire sa montre :

— Mille troupeaux de… ! Pardon, Wilhelmine, mais il est dix heures moins cinq, et cette petite sort pour la première fois depuis sa maladie… Jeune homme, va nous commander une carriole !

Marcel sort, revient rapidement — avec cette prestesse souple à se retourner dans une embrasure de porte — et m’apporte ma cape de drap rouge qu’il pose adroitement sur mes épaules.

— Adieu, tante.

— Adieu, ma petite fille. Je reçois le dimanche, vous seriez toute mignonne de venir servir mon thé à cinq heures avec votre ami Marcel.

(Mon âme prend la forme d’un hérisson :) – Je ne sais pas, tante, je n’ai jamais…

— Si, si, il faut que je fasse de vous une petite personne aussi aimable qu’elle est jolie ! Adieu, Claude, ne vous enfermez pas trop dans votre tanière, pensez un peu à votre vieille sœur !

Mon « neveu », au seuil, me baise la main un peu plus fort, appuie son « À dimanche » d’un sourire malin et d’une moue délicieuse, et… voilà.

Tout de même, j’ai bien failli me brouiller avec ce gamin ! Claudine, ma vieille, tu ne te corrigeras jamais de ce besoin de fouiner dans ce qui ne te regarde pas, de ce petit désir un peu méprisable de montrer que, finaude et renseignée, tu comprends un tas de choses au-dessus de ton âge ! Le besoin d’étonner, la soif de troubler la quiétude des gens et d’agiter des existences trop calmes, ça te jouera un mauvais tour.

 

Je suis beaucoup plus à ma place, ici, accroupie sur mon lit-bateau et caressant Fanchette qui commence sa nuit sans m’attendre, confiante et le ventre en l’air. Mais… pardon, pardon ! Je les connais ces sommeils souriants, Fanchette, ces heures béates de ronron persistant. Et je connais aussi cet arrondissement des flancs, et ce ventre exceptionnellement soigné où pointent de petites mamelles roses. Fanchette, tu as fauté ! Mais avec qui ? « C’est à se briser la tête contre les murs, Dieu juste ! » Une chatte qui ne sort pas, un chat de concierge incomplet… qui, qui ? Tout de même, je suis joliment contente. Des chatons en perspective ! Devant cet avenir joyeux le prestige de Marcel, lui-même, pâlit.

J’ai demandé à Mélie des éclaircissements sur cette grossesse suspecte. Elle a tout avoué.

— Ma guéline, pendant ces derniers temps, la pauvre belle avait bien besoin ! Elle a souffri trois jours, hors d’état ; alors j’ai demandé dans le voisinage. La bonne d’en dessous m’a prêté un beau mari pour elle, un beau gris rayé. J’y ai donné mas [2] de lait pour l’assurer, et la pauvre belle s’est pas fait prier : ils ont cordé tout de suite.

Comme elle devait se languir, cette Mélie, de s’entremettre pour le compte de quelqu’un, fût-ce pour la chatte ! Elle a bien fait.

 

La maison devient le rendez-vous de gens plus étonnants et plus scientifiques les uns que les autres. M. Maria, celui des grottes du Cantal, y amène souvent sa barbe d’homme timide. Quand nous nous rencontrons dans le trou à livres, il salue d’un air empoté et me demande en balbutiant des nouvelles de ma santé, que je lui affirme lugubrement « très mauvaise, très mauvaise, monsieur Maria ». J’ai fait connaissance avec de gros hommes décorés et généralement mal mis, qui s’adonnent à la culture des fossiles, je crois… Pas excitants, les amis de papa !

 


  1. Imiter par moquerie.
  2. Beaucoup.
Publié le 20/04/2025 / 2 lectures
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