Partir, finalement, c’est le plus important dans ce qu’on appelle voyager. La suite, on ne peut pas en dire grand-chose avant d’être rentrés. Et heureusement, la répulsion instinctive que j’éprouve en écoutant mes compagnons et compagnes comparant leurs programmes, les bons plans, les incontournables. Et pourtant, difficile d’y échapper. Celui-ci a son pass lui permettant de voir à bas prix et à tout prix tout ce qu’il y a à voir. Celle-ci et son itinéraire minuté, quadrillé, pour ne rien rater.
Dans le bus qui nous conduit à l’aéroport, mon seul objectif est de ne pas les entendre. Il y a à la fois de la jalousie et un peu d’envie. Ils sont prêts, dans les starting-blocks, visites chronométrées, restaurants réservés.
Mais ça, c’était avant, avant que l’exotisme ne m’envoûte. Parce qu’il est partout, l’exotisme — enfin, sauf là où on prévoit de le trouver.
Un graffiti sur les murs du musée contenant les joyaux de l’art. Des impacts de balle sur la façade d’un McDo. Cette femme, dans un train de banlieue, le soir, qui me parle de sa difficulté à faire valoir ses droits face à une police corrompue.
Donc finalement, je prends le minimum avec moi. Je veux dire le minimum de ce qui pourrait me distraire, me faire passer à côté de ce qui est vraiment important. On l’appelle parfois sérendipité, le fait de trouver ce que l’on ne cherche pas. Bien sûr, je suis allé saluer La Jeune Fille à la perle à La Haye, Le Printemps à Florence, les Caravage du MET. J’ai aussi raté tant d’incontournables.
Mais qui aurait pu prévoir ce ténor des rues de Florence tirant des larmes à ceux que les deux heures de file d’attente pour entrer dans le Duomo avaient rebutés ? Une visite de musée peut se transformer en une séance photo parmi les participants à la Baltic Pride. Il suffit d’être attentif à ce qui se passe. Le musée sera ouvert demain, mais cette jeunesse respirant la joie et la beauté n’est ici qu’ici et maintenant. J’ai tant de situations qui me viennent en tête que je ne vais pas en faire l’énumération ici. Je parlerai tout de même de cet Irlandais au milieu des vendeurs de souvenirs du pied de l’Acropole. Évidemment, il semblait un peu imbibé, mais ces figurines en fils électriques de couleur tiennent très bien leur place dans la vitrine de mon salon. Je terminerai cette liste en évoquant le plaisir de se faire tailler la barbe au milieu de ces Stambouliotes se préparant à l’Aïd.
Donc, ce matin, je pars et mon vœu serait de ne même pas savoir où je serai ce soir. Hélas, je suis un peu trop couard pour ça. Alors je sais où je vais, mais j’espère l’oublier pour enfin m’y noyer.