Chapitre 1

 

 

     Paris. Le téléphone sonna. La maison dormait encore. Il était 5h. Eléna se leva, entra au salon, s’approcha du combiné téléphonique et décrocha. Au bout du fil, Sita Margot, la mère de son mari Koum. Elle n’était pas seule, plusieurs voix en fond sonore semblaient lui souffler ce qu’elle devait dire. Ne comprenant pas grand-chose, Elena déposa l’écouteur du téléphone sur la commode et appela son mari : « Koum c’est ta mère au bout du fil ! ». Après un long soupir celui-ci vint en traînant les pieds.

 

− Bonjour Sita !

 

− Bonjour mon fils, comment vas-tu ?

− Bien maman, j’espère que vous aussi.

 

− Vois-tu, je ne dors pas bien depuis des semaines, je suis fatiguée de toutes les tracasseries de ton frère Ebosse. Tu sais qu’il ne travaille pas et se débrouille à la Casse de Bessenguè. Tout le temps les policiers sont à ses trousses. Pas plus tard qu’avant-hier, il a été interpellé et placé en cellule. Il est accusé de recel.

 

− Petit papa, ça ne va pas. On lui réclame près de 500.000 CFA. En plus, le commissaire veut nous extorquer 200.000 CFA pour le relaxer. Mon fils je n’en peux plus.

 

      Koum l’interrompit :

 

− Maman qu’attends-tu de moi là ? Je viens à peine de commencer le boulot à la poste de Paris. Tu sais que j’ai une famille, je ne peux vous venir en aide tout le temps. Le mois dernier, je vous ai déjà envoyé 200.000 CFA. Vos sollicitations sans fin me stressent.

 

− Mon fils tu veux ma mort ? Je n’en peux plus ! Débrouille-toi Petit-papa, s’il te plaît. Ne m’abandonne pas dans cette situation. Tu sais que vous êtes mes deux garçons. Mon cœur saigne, Petit-papa.

 

− Pour l’instant, je ne te promets rien.  Je vais d’abord expliquer ce problème à mon épouse Elena.

 

− Mon fils, dois-tu demander la permission à ta femme pour sauver ton frère ?

 

     Elle éclata en sanglots.

 

− Maman tu ne peux pas comprendre, je t’expliquerai plus tard. Je dois me préparer pour aller au boulot. Passe une belle journée. Je t’embrasse maman.

 

     Koum reposa le combiné, accablé par la conversation qu’il venait d’avoir avec sa mère. Au fond de lui, il savait qu’il devrait intervenir en faveur de son frère, mais également qu’il aurait à l’annoncer à Elena.  L’idée de l’affronter et de devoir encore et encore se justifier, lui rappeler l’importance de la famille en Afrique le démoralisait. Il prit sa besace, et se rendit à son travail.

 

 

Chapitre 2

 

 

     Sita Margot avait mis au monde six enfants dont deux jumeaux, Koum et Ebosse. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Les noms réunis des deux enfants étaient le nom de leur défunt père Koum Ebosse. Ebosse avait le regard hautain alors que Koum était plus humble et préférait parfois passer inaperçu. Les deux frères étaient grands de taille et leur gabarit impressionnait quiconque les rencontrait pour la première fois. Cependant, chacun avait son caractère propre.

     Devenue veuve très tôt, Sita Margot avait dû travailler dur pour assurer le minimum à toute sa petite tribu, ainsi qu’elle aimait désigner sa progéniture. Elle vendait les beignets, de la bouillie, du poisson frit et de la viande, sous une petite case qu’elle s’était construite au bord d’un trottoir au quartier Bessenguè-Deïdo. On appelait cette petite case : le « Beignetariat» ou encore le « BH » de Sita Margot. Nombreux étaient ses clients. Son nom était connu par la succulence de ses beignets et haricots. Elle savait les concocter. Sa bouillie n’était pas en reste.

 

 

     Les jumeaux avaient passé leur enfance à Douala. Ils étaient soudés comme les doigts de la main, jouant de leur ressemblance pour taquiner les vielles mamans du quartier. Ils étaient difficile-ment identifiables. On confondait Ebosse à Koum et vice versa. 

 

     Un jour, Sita Margot les fit asseoir au salon. Elle avait l’air grave des jours de punitions. Elle leur présenta une jolie dame qu’elle appela tante Djessy. Cette dernière n’avait jamais eu d’enfant. Les deux garçons furent impressionnés par son élégance et sa beauté. Tante Djessy arrivait de Paris. Elle arborait un magnifique chapeau et un grand sourire qui laissait entrevoir des dents aussi blanches que la neige qu’ils n’avaient jamais vue. Sita Margot lui servit un plat de ndolé, agrémenté de quelques miondos. Durant tout l’après-midi, leur tante leur raconta la vie à Paris, la Tour Eiffel, Le Louvre, les Folies bergères, Montmartre…

 

     Après le repas, Sita Margot expliqua aux jumeaux qu’elle n’arrivait plus à joindre les deux bouts, qu’elle se résignait à prendre une décision douloureuse : envoyer Koum en France. Il partirait avec tante Djessy à Paris dans quelques jours.

 

 

     Le jour du départ fut aussi triste qu’un jour de deuil, non seulement pour Ebosse, mais aussi pour le reste de la famille. Koum ne réalisait pas ce qu’il était en train de vivre. Il monta dans le taxi et s’assit près de la jolie dame, intrigué par le fait qu’il allait prendre l’avion pour la première fois et de voir Douala du ciel.

 

     Les années passèrent. Koum fit de fit de brillantes études et ce fut au cours de celles-ci qu’il rencontra Elena, une française, qui deviendra son épouse plus tard.

 

     Par sa présence, Elena avait su se rendre indispensable dans la vie de Koum. Ils avaient deux enfants Erika et Joakim. Ses journées étaient occupées entre son boulot de secrétaire de direction, et les tâches domestiques.

 

     Ebosse de son côté, demeuré au pays, avait abandonné les études. Puis, il se mit à vendre du matériel volé à la casse de Bessengue. Sita Margot, lasse de voir son fils Ebosse interpellé, chaque semai-ne, comme receleur, par la police ou la gendarmerie, demanda à son frère Koum de le faire partir également en France, auprès de lui.

 

 

Chapitre 3

 

 

     Ce jour-là dans sa cuisine Sita Margot préparait ses ustensiles pour se rendre à son lieu de commerce. Il était six heures du matin. Ses filles prenaient leur petit déjeuner à ses côtés. Lorsque Anna, l’aînée entra dans la cuisine, immédiatement Sita Margot se redressa et lui dit sur un ton péremptoire :

 

− Anna, Ebosse doit rejoindre Koum à Paris.

 

− Tu sais Sita, ça m’étonnerait qu’Elena accepte. Elle mène Koum par le bout du nez.

 

− Hein ? Pourquoi n’accepterait-elle pas ? Dis-moi, sais-tu quelque chose à propos des papiers qu’il faut avoir Anna ?

 

− Tu sais, Sita, les femmes blanches ne réfléchissent pas comme nous. La solidarité au sein de la famille est un concept difficile à comprendre pour elles. A propos des papiers il lui faut un passeport et le visa.

 

    Le ton de Sita Margot monta :

− Veux-tu dire qu’elle empêcherait Koum de faire venir son frère ! Moi qui ai accouché mes deux enfants ! Que peut-elle faire ?

 

     Anna d’un ton affirmatif et sûr d’elle répliqua :

 

− Moi, tout ce que je sais c’est qu’il ne cédera pas, parce qu’il est aux ordres d’Elena.

 

     Sita Margot ne voulut rien savoir de ce que pensait Elena :

 

− Je m’en fous !  Ce sont mes enfants. Elle n’a pas le droit de me dire comment je dois les gérer.

 

     Elle regarda Anna dans les yeux.  

  

− Ebosse doit rejoindre Koum à Paris. Il est hors de question que cela se passe autrement, dit-elle après un silence, comme si elle voulait s’en convaincre.

 

     Sita Margot n’était pas à son premier coup vis-à-vis de Koum pour le faire céder. Plusieurs fois elle l’avait retourné comme une crêpe. Elle savait charger sa voix de toute son émotion lorsqu’elle voulait lui parler. Elle faisait souvent accompagner cette émotion par un torrent de larmes. Ce chantage affectif était sa spécialité. Elle savait manœuvrer. Dans tous les cas, Sita Margot était déterminée à faire plier Koum afin qu’il acceptât de faire venir Ebosse à Paris.

     Cependant, de son côté, Anna pensait, silencieusement, qu'avoir des frères en Europe suffisait pour réaliser ses rêves. Pour elle c’était devenu presqu’un métier que de dire qu’elle avait un frère en France. Elle nourrissait patiemment son rêve de partir aussi un jour, lorsque l’occasion se présenterait.

 


Publié le 04/07/2025 / 9 lectures
Commentaires
Publié le 05/07/2025
Bonjour et merci pour ce récit sincère et authentique qui exprime bien les difficultés économiques qui obligent dans plusieurs pays du monde à faire des sacrifices et à exploser les familles. Et de permettre aussi de faire juxtaposer côte à côte différentes cultures aux approches souvent bien différentes. Merci Yana.
Publié le 05/07/2025
Bonsoir Léo et merci beaucoup pour ce retour. Belle soirée!
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