L’obéissance est un besoin vital de l’âme humaine. Elle est de deux espèces : obéissance à des règles établies et obéissance à des êtres humains regardés comme des chefs. Elle suppose le consentement, non pas à l’égard de chacun des ordres reçus, mais un consentement accordé une fois pour toutes, sous la seule réserve, le cas échéant, des exigences de la conscience. Il est nécessaire qu’il soit généralement reconnu, et avant tout par les chefs, que le consentement et non pas la crainte du châtiment ou l’appât de la récompense constitue en fait le ressort principal de l’obéissance, de manière que la soumission ne soit jamais suspecte de servilité. Il faut qu’il soit connu aussi que ceux qui commandent obéissent de leur côté ; et il faut que toute la hiérarchie soit orientée vers un but dont la valeur et même la grandeur soit sentie par tous, du plus haut au plus bas.
L’obéissance étant une nourriture nécessaire à l’âme, quiconque en est définitivement privé est malade. Ainsi toute collectivité régie par un chef souverain qui n’est comptable à personne se trouve entre les mains d’un malade.
C’est pourquoi, là où un homme est placé pour la vie à la tête de l’organisation sociale, il faut qu’il soit un symbole et non un chef, comme c’est le cas pour le roi d’Angleterre ; il faut aussi que les convenances limitent sa liberté plus étroitement que celle d’aucun homme du peuple. De cette manière, les chefs effectifs, quoique chefs, ont quelqu’un au-dessus d’eux ; d’autre part ils peuvent, sans que la continuité soit rompue, se remplacer, et par suite recevoir chacun sa part indispensable d’obéissance.
Ceux qui soumettent des masses humaines par la contrainte et la cruauté les privent à la fois de deux nourritures vitales, liberté et obéissance ; car il n’est plus au pouvoir de ces masses d’accorder leur consentement intérieur à l’autorité qu’elles subissent. Ceux qui favorisent un état de choses où l’appât du gain soit le principal mobile enlèvent aux hommes l’obéissance, car le consentement qui en est le principe n’est pas une chose qui puisse se vendre.
Mille signes montrent que les hommes de notre époque étaient depuis longtemps affamés d’obéissance. Mais on en a profité pour leur donner l’esclavage.