Joe, Maurice et la tempête du siècle.

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Il neige à plein ciel. Une centaine d'enfants s'entassent dans la grande salle pour le retour à la maison, c'est l'effervescence à l'école élémentaire du village, pour faire changement. Les autobus peinent à arriver et la direction nous fait patienter en nous offrant un sac de chips ayant la même saveur que ma journée, ordinaire. Je suis en 4e année, j'ai 9 ans, ma vie semble au neutre. Je n'aime pas mes cheveux, mes dents avancées, mon nom de famille, mon professeur. 

Comble à mon malheur, nous devons demeurer à l'école, la fameuse tempête du siècle se présente à nous. Malgré tout, en regardant par la fenêtre, la beauté et l'intensité de la neige fait émerger une connivence paisible en moi, je ressemble à cette tempête. Soudain, mon attention est attirée par le cri de cet homme couvert de neige entrant dans la salle. "Je peux ramener un enfant avec moi."Je le reconnais! C'est Joe Marlo, le propriétaire de la petite épicerie au bout de mon rang. Je lève timidement la main espérant être choisi. Joe me pointe du doigt et s'exclame : "Oui, lui! C'est le mien!" Surpris par un inattendu sentiment de reconnaissance, j'accours chercher mon manteau et mes bottes.

Trois kilomètres de bonheur à parcourir en ski doo. Assis devant Joe sur la bruyante machine, j'arrive à ouvrir les yeux de temps en temps pour admirer la neige énervée par le vent. En arrivant près de l'épicerie, j’aperçois les deux chevaux belges de Maurice Tanguay attelés à un immense traîneau. Maurice debout sur son traîneau m'attendait avec une dizaine d'enfants emmitouflés sous une immense couverture. Nous voilà reparti pour la livraison de flos.

Pendant le périple, j'ose soulever la lourde couverture et j’aperçois les chevaux s’enfonçant dans la neige jusqu'au ventre. Je revois encore la puissance avec laquelle ils avancent dans toute cette neige. Nous voilà trop vite arrivé devant ma maison. La fournaise chauffe, les assiettes sont sur la table. Aujourd'hui, ce qui demeure, Joe, Maurice et la tempête du siècle m'ayant réchauffé à leur manière.

 


Publié le 09/05/2025 / 6 lectures
Commentaires
Publié le 10/05/2025
C’est sur un texte comme le tien que l’on mesure les différences géographiques et culturelles qui séparent parfois l’éducation et les souvenirs d’antan à travers les différents pays du monde. C’est tout le bonheur de réunir et lire des auteurs du monde entier. Aller à l’école peut s’avérer être tout un périple selon les coins du globe et surtout les saisons. En France, peu de souvenirs de ce genre à déplorer, c’est encore plus ordinaire qu’ordinaire. Ce qui est chouette dans ton texte, c’est toute la solidarité humaine et même animale qui se met en oeuvre pour ramener chaque enfant dans son foyer. Merci Daniel pour ce très beau texte.
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