Il y avait en moi un Monsieur Caché. Ce n’est que récemment que je l’ai rencontré. Elle m’a dit que j’étais doux, mais j’ai bien compris que quelque remord habitait ses pensées. Pendant qu'avec la même douceur nous l'avons refait, lui, celui dont j’ignorais encore l’existence, il y pensait. Longtemps il a envisagé et un soir il a osé improviser une infime incartade, une extravagance minuscule qui a plu à mon amie avant qu’elle me gronde, comme de juste. Mon absolution avouée eût été damnable. Dès alors, imperceptiblement — ne voyez pas cela en termes de semaines ou de mois, mais décomptez les années — je les ai laissés dévier afin de nous faire dériver le temps de toute notre vie. Le rythme est essentiel à la fluidité de nos dévoiements, pour qu’ils puissent nous griser encore, nous étourdir toujours. Il a fallu que j’eusse fêté mes quarante-cinq ans pour qu’enfin il ose un pied dans une boutique spécialisée. C’était la caverne d’Alibaba ! Quel émoi ! On nous a demandé ce que nous souhaitions, quel genre d’article nous cherchions, lui et moi. J’ai pris la parole pour raconter à l’oreille attentive, celle d’une femme — je ne l’aurais jamais cru — où ma chérie et moi étions, à quels jeux nous jouions. Elle nous a suggéré quelque chose de câlin, quelque chose dans nos moyens. Notre amoureuse et moi reprîmes rinforzando dopés que nous étions par les babioles ramenées du magasin. Rinforzando ma crescendo. Ah les grands compositeurs italiens ! Nous nous entendions, mon démon et moi. Dal crescendo al triplo forte ! Complices, nous y sommes retournés, dans la boutique merveilleuse où aujourd’hui je vais, non plus étreint par le trac, mais, fouetté par le frisson. Je prie Aphrodite et toutes ses copines : "rinforzando ma crescendo pour l’éternité ! Amen."