Galère fiscale et injustices municipales dans l’Haïti d’avril 2024

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Le 28 février dernier, me voici pour le bordereau d’impôt locatif par devant l’autorité municipale de la rue Jean Baptiste du Canapé-Vert (10h54 am). Le quartier transpire déjà un parfum de barricades qui prendra une dimension militaire le lendemain. J’éviterai de vous parler du Port-au-Prince de la journée du 29 février 2024. Flairant la robuste complexité de l’explosive conjoncture qui se dessinait assez rapidement, j’ai pris le soin de retourner à Direction des Opérations Fiscales de l’autorité municipale de la rue Jean Baptiste du Canapé-Vert le 22 mars 2024, à 10h. Objet de ma démarche: «Il profite pour vous informer qu'une succession d'événements affectant considérablement les institutions (fermeture provisoire toutes les succursales bancaires de son secteur pour achat du chèque de direction; indisponibilité des guichets municipaux et du Ministère de l’Économie & Finances à la DGI, etc) empêche de respecter l'échéance du 31 mars 2024. Il sollicite donc votre bienveillance afin d'obtenir un délai/sursis pour règlement du bordereau 2023-2024.»

Le 9 avril 2024, l’autorité municipale me confirme ce qu’un cadre informé m’avait souligné en me recevant convenablement le 22 mars 2024: considérant les particularités conjoncturelles, l’échéance traditionnelle (et légale) du 31 mars ne tient plus. Vous pourrez utiliser le bordereau émis le 28 février 2024 à 10h54 am pour l’achat du chèque et pour vous présenter à la Direction Générale des Impôts (DGI).

Lorsque je me suis présenté à la DGI le 11 avril 2024 à 9h18, il y avait une panne sectorielle d’électricité. A 9h50, avec un mélange de sourire d’Elizabeth Taylor et de Simone Duvalier mère, la responsable du guichet m’informe qu’il y a des intérêts à payer...

Entre-autres, je retourne à l’autorité municipale ce jeudi matin 11 avril pour les informer de mon calvaire . Ils apposent un sceau sur le bordereau: «Sans intérêts»… M’invitant à retourner admirer le sourire d’Elizabeth Taylor Duvalier...

C’est alors que j’ai compris – en attente de verveine – que dans l’Haïti d’avril 2024, les citoyens intéressés aux impôts peuvent être sévèrement sanctionnés par tout le «système» (entités bancaires; DGI; Mairies , etc).

Depuis ma première visite -à l'âge de 10 ans- à la Direction Générale des Impôts (alors appelée Administration Générale des Contributions), accompagné de mon père, j'avais été fortement impressionné par la majesté du bâtiment. Situé presqu'en face du Palais National, l'imposant édifice inauguré en 1963 symbolisait une des grandes réalisations du Président François Duvalier (1957-1971). Lorsque certains de ma génération découvraient les obligations fiscales de base à leur majorité à 18 ans (carte d'identité; récépissé des examens de fin d'études secondaires ; timbre pour le passeport; contribution foncière sur propriété bâtie ou impôt locatif; etc), j'étais déjà un habitué des guichets d'impôts. Adolescent j'ai eu à régler en deux ou trois occasions la carte d'identité de ma grand-mère paternelle, née vers la fin du 19ème siècle.

Vous comprenez quel a été l'impact du choc en constatant que la grande majorité des politiciens de mon pays ont un rapport assez distant avec l'administration fiscale nationale. Fort souvent ces gens parlent beaucoup d'éducation financière et méprisent l'éducation fiscale.

Il est toujours utile de ne pas oublier un fait étrange survenu au début de l’informatisation de la Direction Générale des Impôts (DGI). Pendant de longues années, les Recherches Criminelles, par la suite Anti-Gang, situées au Département militaire de la Police de Port au Prince, gardaient les clefs du Palais des ministères (alors Finances & Economie, Travaux Publics Transport et Communication, Santé, Intérieur & Défense). A la fermeture des bureaux, un employé des ministères cités était chargé d'apporter les clefs à l'officier du jour à la Police de Port au Prince. Depuis le gouvernement de François Duvalier (1957-1971), les clefs des Contributions (DGI) dormaient aussi à la Police (alors Casernes François Duvalier). Un matin de 1987, alors que l’informatisation des services fiscaux avançait sérieusement, grande fut la surprise des employés en constatant que tous les câbles reliant les ordinateurs, imprimantes, et autres matériels sophistiqués avaient été coupés…

En 2024, l’État haïtien saura couper presque tous les liens avec ses citoyens...

(Extraits de: L’histoire d’Haïti d’un contribuable inquiet...)

Gilbert Mervilus


 


Publié le 11/04/2024 / 12 lectures
Commentaires
Publié le 13/04/2024
Il faut être résilient en Haïti pour être citoyen à part entière et à tous les niveaux de l’administration. Et puis il y a aussi en matière de fiscalité une forme d’universalité, car tous les pays semblent compter dans ses rangs politiciens des politiques qui ont au mieux du dédain et au pire une réelle aversion vis à vis de la fiscalité…
Publié le 19/04/2024
Tu as parfaitement raison. Grands Remerciements!
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