Extrait de "les démons" le dragon de Komodo

Véronique et moi, nous étions l’un à côté de l’autre au cours de géographie. J’adorais quand j’étais avec elle. On s’entendait bien. C’était durant les révisions en vue des examens – le prof nous parlait des ethnies d’Amérique latine – que Véronique a proposé de me faire un petit cadeau, le genre de petit cadeau qui ne se refuse pas sauf si tu es en couple et encore, c’est à réfléchir. Véronique était le prototype de la jolie garce, une perfection dans son genre. Il y en a qui la méjugent, pas moi. Elle est là pour prendre du bon temps et elle ne s’en cache pas, c’est tout. Si un jour, vous avez la chance de lui plaire, vous partagerez d’excellents moments en sa compagnie, mais des moments que vous saurez éphémères. Elle n’en aura pas fait mystère. La garce ne vous prend pas en traître, jamais. Bien sûr, lorsque dans un grand rire, elle vous dira que c’est la fin de la partie, ça vous fera un peu mal, mais ce ne sera pas tragique. Elle vous y aura préparé. Vous ne l’auriez pas espéré si tôt, mais ce ne sera pas bien grave, pas plus qu’une demi-journée sans cigarette.

Alors que la jeune fille sage, celle qui arrive à l’école en socquettes, qui a au moins 17 de moyenne et qui rentre par la première porte du préau, elle, elle est dangereuse. Elle va vous harponner sans que vous vous en rendiez compte et puis, doucement, très doucement, elle vous fera venir dans ses filets. Là vous serez mûr pour qu’elle vous dise que vous êtes le plus beau, le plus grand et le plus fort. Au début, vous n’y croirez qu’à moitié, mais à force de persévérance, elle finira par vous persuader et vous serez sûr d’être le superman qu’elle vous a fait croire que vous étiez. Ce sera le moment qu’elle choisira pour vous porter l’estocade, elle vous dira « Je t’aime, Patrice ».

Connaissez-vous la technique de chasse du dragon de Komodo ? Camouflé, il attend. Lorsqu’un animal, un buffle par exemple, passe à ses côtés, il lui mord le jarret. Le buffle ne comprend pas, il se dit qu’il est idiot, ce lézard, de lui avoir fait cette petite morsure ridicule et il continue son chemin comme si de rien n’était. Mais la salive du varan est un bouillon de culture bactérienne et la plaie s’infecte à mort. Quelques jours plus tard, le buffle s’effondre et le saurien, qui le suivait à la trace, le rejoint et le bouffe. La salive du dragon de Komodo, c’est comme les mots d’amour, c’est un piège à cons. Il ne faut jamais se laisser dire « je t’aime » parce que si c’est vrai, c’est inutile et si c’est faux, c’est criminel et ça devrait être passible de peines d’emprisonnement.

Un beau jour, pas si beau que ça finalement, le dragon de Komodo ou la fille sage de la première porte, c’est pareil, vous dira « Patrice, je ne t’aime plus » ou pire, elle ne vous dira rien, mais, par sa tiédeur, elle vous fera comprendre qu’elle souhaite passer à autre chose ou pire encore, son amie, le jour de la rentrée scolaire, vous dira, en barrant la porte de leur kot étudiant à Mons, « Maintenant, il faut laisser Clara tranquille, Patrice, tu comprends ? », et vous vous retrouverez dévasté, désespéré, pitoyable à vous demander pourquoi le type le plus beau, le plus grand et le plus fort de la planète, le type qu’elle aimait, se retrouve tout seul. Mais en fait non, vous ne vous poserez même pas la question, complètement obnubilé que vous serez par l’espoir de la reconquérir. Toutefois, derrière, en bas à gauche, dans votre petite cervelle au ralenti, une chignole percera lentement un trou pour y enfouir profondément une interrogation « Pourquoi a-t-elle largué le type le plus beau, le plus grand et le plus fort, le type qu’elle aimait ?