Extrait d'un roman en cours. Je vous laisse le choix du titre.

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La seule chose qui me reste dégouline d’un vieux pipeline rouillé. Ce sont mes jours restants, tous ces jours monotones, ces centaines de barils d’heures noires et visqueuses qui éclaboussent mes souliers, puis s’enfoncent dans la terre, une terre où plus rien ne pousse. Ni plus ni moins qu’un autre, je suis un paresseux sans grande imagination, alors je me réfugie sur internet en regardant des dames peu vêtues et ce faisant, je me retrouve de l’autre côté de la barrière, du côté des gens moches aux mœurs pathétiques. C’est ce que j’aurais dit d’un type comme moi, il y a quelques années.

À la gare Centrale, un matin, très tôt, vers six heures, j’attendais, assis dans le bus 71, qu’il m’emmène au travail. J’aperçus une dame qui marchait sur le trottoir. Elle était très habillée, trop habillée, du genre des dames qui portent toute leur garde-robe sur elle et le reste de leur vie aussi. Elle s’est arrêtée juste en face de moi, a soulevé sa robe et, jambes ouvertes, s’est mise à chier par terre. La pisse coulait sur ses chaussures. Je me suis souvent demandé ce qu’elle avait voulu me dire, pourquoi elle avait fait ça devant moi. C’est simplement que ma présence l’indifférait, je n’existais pas pour elle, enfoncée qu’elle était dans les sous-sols de l’humanité. Au niveau de la survie, de l’animal sauvage, elle faisait pour un mieux de là où elle était.

Je fais pour un mieux de là où je suis et le mieux que je puisse faire, c’est tuer le temps, sans emmerder personne. Alors, juste avec ma souris, je choisis «gros seins», «lingerie», «blonde» et «poilue» pour m’embarquer ensuite avec ces filles incroyables vers les USA, la France ou la Grande-Bretagne. Elles font des trucs inouïs, des trucs si excitants que durant cinq ou dix minutes, j’en oublie mon naufrage. Mais cinq ou dix minutes, même deux, trois fois par jour, ça mène où ? Où je vais comme ça ?

 


Publié le 02/02/2025 / 4 lectures
Commentaires
Publié le 03/02/2025
Une narration froide et presque distanciée, c’est étrange mais cela m’a immédiatement fait pensé à « C’est arrivé près de chez vous » de Belveau avec l’inénarrable Benoît Poelvoorde… peut-être parce que tu es belge ou que je sais que tu aimes cet acteur, peut-être les deux, en tout cas ton texte dérange comme il faut, sans filtre, âme et détresses mises à nues, il y a en commun la solitude. ça se lit que c’est travaillé et chaque mot sélectionné avec rigueur pour être le plus efficace possible. Ce n’est pas la première fois que tu explores le côté sombre de l’humain, mais c’est cette fois je trouve, très efficace. Quant aux titres ils se trouvent à la toute fin de l’écriture de mon point de vue, car ils doivent embrasser un ensemble. A plus tard Patrice.
Publié le 03/02/2025
Merci Léo. Ton avis m'importe. Au début quand je t'ai lu, je me suis souvenu de ma réaction trop véhémente suite à tes observations. Mais ensuite, je m'en suis nourri. N'hésite pas. ;-)
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