La mathématicienne amoureuse
Ma thématique, messieurs, serait mathématique
Si je m’étais soustraite à des charmes concrets…
Que sert de savoir mes larmes géométriques ?
Mon cœur de son cœur ne peut se dériver
Comment primitiver ce qui coula toujours ?
Le vecteur charriant tous les corps dans ses flots,
Cette infinie matrice que l’on nomme l’Amour,
Emporte et multiplie l’intégrale de mes mots…
Dorénavant touchée par le feu, sans repères
Désaxée en tout point et sans coordonnées,
Je m’aveugle : toujours, dans l’espace et dans l’aire
De ses yeux, je verrai l’azur et les nuées
Dans mon milieu segmenté, je me sens seule ;
Mes égaux dans les cercles mathématiciens
Ne comptent plus pour moi ; leurs amours sont veules
Son corps, mon seul référentiel non euclidien…
Comparer deux valeurs ? Je ne le pourrai plus :
Sa figure est l’objet qui jamais ne divise
Toutes les propriétés. En lignes défendues,
Je la trace à la craie et ces travaux m’épuisent…
Trouver une, la, des, ou toutes les solutions ?
Pour la seule inconnue qui me fuit, que m’importe !
Elle est dorénavant ma seule équation :
Mon cœur démesuré, reclus, frappe à la porte
Sans tracer lignes droites ou belles conjectures,
C’est contre chaque mur que s’abîment mes poings !
Je prie l’adroite qui pansera ces blessures
Et voudrais à jamais lui confier ces mains…
Cœur, sacré périmètre aux angles dangereux :
Angles aigus dépeçant la raison mise aux fers,
Angles obtus renfermant en son cœur tous mes vœux…
Oh ma correspondante, oh ma complémentaire !
Un jour, par son amour, j’atteindrai les sommets
Que ma raison trouvait sur des polygones,
Je serai trapéziste – ou bien losangier…–,
J’irai dans les forêts de polycèdres, faune !
Car son physique céleste, aux dépens des savants,
M’a fait croire en l’Unique, élevée de la terre
Et une fois montée dans les paradis blancs,
Longtemps je rêverai à l’harmonie des sphères !