On avait seize ans elle et moi. On habitait le même village, tout petit, si petit que les autres n'existent pas. Il n'y a pas les autres, il n'y a que nous. Alors on était très beaux, surtout elle ! Elle était la plus belle de mon monde ! Elle était de toute façon vraiment absolument magnifique ! Enfin non, pas magnifique parce que je ne parle pas d'une jument ni d'un paysage, je parle de Chantal, ma Chantal. Ses yeux bouffaient tout le reste. Rien d'autre n'existait qu'eux. Il s'y trouvait un peu de moquerie, de passion, de défi, d'inflexion, mais tout ça loin derrière les chutes du Niagara de son regard qui coulaient plein pot dans ma gorge, dans mes tripes, dans mes bras, mais pas dans mon pantalon car il y avait une sorte de majesté lumineuse en elle, une noblesse éblouissante qui disqualifiait par avance tout désir de part ou d'autre. Pour ces choses, il fallait qu'il fasse noir. Alors un diable que je ne connaissais pas sortait de moi et la caressait d'une façon qu'elle aimait parce qu'elle miaulait sous ses pattes.
Un jour, comme chaque jour, je suis allé la retrouver après l'école mais contrairement à son habitude, elle n'écoutait pas la chanson de Lio. Elle m'a dit « Je ne t'aime plus. » Je n'ai pas discuté.
Eh toi, dis-moi que tu m'aimes
Même si c'est un mensonge
Et qu'on n'a pas une chance
La vie est si triste