Avons-nous traversé la mort ensemble?

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Ce jour-là, il a fallu convaincre ma mère de quitter sa maison. Sa maladie s'aggravait au point que de rester seule dans cette grande maison devenait dangereux pour elle. Un après-midi d'hiver, elle sortit sur le perron pour ramasser son journal et demeura quelques instants au froid, figée devant la pognée de porte, ne sachant plus quoi faire. Par chance, ma soeur passant par là figea elle aussi constatant la dégradation de sa mémoire. Ma mère résistait à son départ et plus la maladie progressait plus la résistance grandissait. Ce jour de départ, résignée devant la porte, je la tenais par le bras et elle m'a soufflé à l'oreille :"Je vais mourir." Je lui ai répondu : "Viens maman, on va mourir ensemble." Elle m'a suivi et nous sommes partis pour le centre de soins pour gens âgés.

Au bout de sept ans à disparaître doucement, un autre départ s'annonçait. Je reçus un appel de la résidence m'informant que l'état de ma mère s'aggravait. Je me rendis passer la nuit avec elle. Je la voyais dans son lit respirer difficilement et rapidement. Au petit matin, je ressentais le besoin de dire quelque chose pour l'accompagner, être en lien avec elle dans ce moment important. Je ne savais pas quoi lui dire. C'est en m'approchant, en lui tenant la main, j'ai commencé par quelques mots, quelques souvenirs, des regrets, ma gratitude et lui partager une chanson composée durant la semaine. Elle aimait chanter Bécaud pendant qu'elle lavait la vaisselle: "On prend toujours un train pour quelque part, un grand train bleu, un grand train blanc, un grand train noir..." Elle chantait pour m'encourager à l'aider. Elle s'est éteinte doucement, le souffle reposé. Mes dernières paroles furent : « Es-tu en train de t'en aller? » Elle est partie sur ces mots. Cet instant vécu avec ma mère a comblé mon besoin d'être avec elle dans ce moment inconnu et insécurisant que peut être la mort. J'étais en lien avec elle, avec moi, dans cette petite chambre et véritablement avec quelque chose de plus grand que nous. J'étais dans une paix donné, douce tristesse de voir partir cette femme qui a pris soin de moi et plein de gratitude juste de pouvoir être là, seul avec elle. Je suis resté un long moment à lui tenir la main. Au fond, j'ai réalisé que nous avions traversé la mort ensemble.
 


Publié le 04/03/2025 / 2 lectures
Commentaires
Publié le 04/03/2025
Bonsoir Daniel, bravo et merci. Ce n’est pas la première fois que je constate la sensibilité portée par une touchante authenticité. Sur tes autres textes ce sont sur quelques passages, et dans ce texte, c’est tout du long. J’ai particulièrement aimé ""elle m'a soufflé à l'oreille :"Je vais mourir." Je lui ai répondu : "Viens maman, on va mourir ensemble." Elle m'a suivi et nous sommes partis » » ; "Elle chantait pour m'encourager à l’aider »’ et ""dans cette petite chambre et véritablement avec quelque chose de plus grand que nous ». Beaucoup d’émotion, merci Daniel.
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