[L’Auteur désire exprimer ici sa reconnaissance envers le Traducteur de ce qu’il a remplacé par des parodies de sa composition quelques parodies de morceaux de poésie anglais, qui n’avaient de valeur que pour des enfants anglais ; et aussi, de ce qu’il a su donner en jeux de mots français les équivalents des jeux de mots anglais, dont la traduction n’était pas possible.]
Notre barque glisse sur l’onde
Que dorent de brûlants rayons ;
Sa marche lente et vagabonde
Témoigne que des bras mignons,
Pleins d’ardeur, mais encore novices,
Tout fiers de ce nouveau travail,
Mènent au gré de leurs caprices
Les rames et le gouvernail.
Soudain trois cris se font entendre,
Cris funestes à la langueur
Dont je ne pouvais me défendre
Par ce temps chaud, qui rend rêveur.
« Un conte ! Un conte ! » disent-elles Toutes d’une commune voix.
Il fallait céder aux cruelles ;
Que pouvais-je, hélas ! contre trois
La première, d’un ton suprême,
Donne l’ordre de commencer.
La seconde, la douceur même,
Se contente de demander
Des choses à ne pas y croire.
Nous ne fûmes interrompus
Par la troisième, c’est notoire,
Qu’une fois par minute, au plus.
Puis, muettes, prêtant l’oreille
Au conte de l’enfant rêveur,
Qui va de merveille en merveille
Causant avec l’oiseau causeur ;
Leur esprit suit la fantaisie.
Où se laisse aller le conteur,
Et la vérité tôt oublie
Pour se confier à l’erreur.
Le conteur (espoir chimérique !)
Cherche, se sentant épuisé,
À briser le pouvoir magique
Du charme qu’il a composé,
Et « Tantôt » voudrait de ce rêve
Finir le récit commencé : « Non, non, c’est tantôt ! pas de trêve ! »
Est le jugement prononcé.
Ainsi du pays des merveilles
Se racontèrent lentement
Les aventures sans pareilles,
Incident après incident.
Alors vers le prochain rivage
Où nous devions tous débarquer
Rama le joyeux équipage ;
La nuit commençait à tomber.
Douce Alice, acceptez l’offrande
De ces gais récits enfantins,
Et tressez-en une guirlande,
Comme on voit faire aux pélerins
De ces fleurs qu’ils ont recueillies,
Et que plus tard, dans l’avenir,
Bien qu’elles soient, hélas ! flétries,
Ils chérissent en souvenir.
Traduit de l'anglais par Henri Bué et illustré par John Tenniel