L’air était glacial, mordant, et le ciel d’un noir si profond qu’il semblait absorber la lumière des lampadaires autour de moi. Mes joues brûlaient de rouge, mon nez engourdi par le froid, et pourtant, au loin, l’appartement brillait, paisible, chaleureux. Un refuge auquel je n’avais plus accès.
Je revois cette nuit, comme à travers un voile épais. Des fragments épars, des bribes de mémoire, assez pour me hanter. Il y avait ses bras, ce cocon réconfortant, et puis, en un instant, plus rien. Une absence brutale, une déchirure. Je voulais lui parler, peser mes mots, mais l’émotion m’a trahie. Malgré tous mes efforts, malgré ce mur que j’essayais de dresser, l’intensité a tout balayé. Les larmes ont jailli, incontrôlables. Une tempête intérieure. Et puis il y a eu ce claquement de porte. Si fort, si définitif. Une explosion de colère et de douleur mêlées.
Et là, en bas de l’immeuble, je me suis assise. Seule. Dans le froid. Les larmes roulaient sur mes joues, glaciales, comme si elles voulaient se figer sur ma peau. Je contemplais le vide, la rue déserte, le silence assourdissant. C’était comme si le temps s’était arrêté, suspendu à ce moment de solitude.
Le souvenir s’efface ici, s’effrite. Tout devient flou. Je me revois, hésitante. Vais-je l’appeler ? Est-ce que mes clés feront le bruit familier de ma porte qui s’ouvre ? Et après ? Rien. Le néant. Une absence si pesante qu’elle étouffe tout.
Était-ce un rêve ? Une réalité ? Ces fragments sont-ils réels ou inventés par une mémoire en quête de sens ? Je revois pourtant l’appartement avec une clarté douloureuse. La cuisine, baignée de lumière, où une plante grimpait, fragile et persistante. C’est là que je suis tombée amoureuse. Bêtement, profondément. Je revois la buanderie, ce passage anodin, presque insignifiant, qui menait à sa chambre. Et ce papier peint. Dieu, ce papier peint. J’y projetais notre avenir, un futur jamais partagé.
Sa chambre. Combien de nuits ai-je passées là, dans ses bras, croyant naïvement que ces moments dureraient toujours ? Pourtant, aujourd’hui, ces souvenirs semblent si courts, comme si tout se réduisait à une poignée de minutes volées. Une heure, peut-être. Pas plus.
J’essaie de combler ce vide, de me souvenir de ce qui m’échappe. Mais rien ne revient. Je ne me souviens pas de notre première rencontre. Pas de nos débuts. Pas des instants où j’étais heureuse. Tout cela s’est effacé, me laissant seule avec des miettes de douleur.
Je me souviens de la "seconde rencontre", celle qui semble avoir tout redéfini. Les festivités colorées, une bouteille de jus d’orange, la fête de la musique. Notre baiser, volé dans une pièce exiguë, à l’abri des regards. Ses mots, pourtant si clairs, résonnent encore : "Nous ne pouvons pas" Et pourtant, j’ai attendu.
Comme une idiote, j’ai attendu. Ses appels me ramenaient toujours à lui, pour mieux m’en éloigner encore. Je me souviens de sa tromperie, de ma douleur. Et de ma bêtise, toujours prête à pardonner.
L’amour rend les Hommes stupides. Il nous expose, nous met à nu, et dans cet état de vulnérabilité, nous sommes prêts à tout accepter. Comment pourrais-je me croire digne de mériter autre chose que cette souffrance ? Une part de moi reste convaincue que tout est de ma faute. Même lorsque je n’ai rien fait, je porte le poids de cette culpabilité.
Regarde-toi. Misérable créature, brisée, incapable de fuir cette spirale. Tu as souffert, oui, mais tu ne te souviens pas. Est-ce une bénédiction, cet oubli ? Ou un mécanisme lâche pour échapper à la vérité ?
Suis-je la fautive ?
Je n’arrive pas à lui échapper. Pas vraiment. Pas encore.