Nous sommes le troisième jeudi du mois, je l’observe qui baguenaude dans la rangée des biographies et de l’histoire.
Elle est toute petite, toute menue, plus très jeune, pas encore trop vieille. Il y a longtemps qu’elle n’a pas été chez le coiffeur car son visage sans maquillage est encadré par des nattes poivre et sel qui lui arrivent à la taille. Toujours habillée en jeans ou pantalon léger, tee-shirts l’été ou pulls trop larges en hiver. Chaussée de sandales ou de chaussures de sports selon la saison. Je peux résumer la physionomie de ma cliente au style « Baba cool ».
Elle ne ressemble pas aux dames hautaines, m’étalant sans cesse leur culture, au snobisme ridicule, ces bourgeoises qui me saluent à peine et s’en vont sans achat sous prétexte qu’elles sont pressées et qui s’imaginent qu’elles me cachent leur avarice sous leurs sourires botoxés.
Ma lectrice en s’engouffrant dans la librairie me lance toujours un tonitruant : « Bonjour Monsieur Guy, vous allez-bien ? » Elle s’arrête, me regarde droit dans les yeux et attend ma réponse.
Je ne peux pas répondre négativement. Je l’ai fait une fois, j’avais un souci dans la famille, ses prunelles sont devenues tellement grises que j’ai cru qu’il allait pleuvoir.
Elle marche ou plutôt elle glisse comme si elle était sur des rollers. Son allure, sa bonne humeur, sa joie de vivre me fascinent. Je connais tous ses gestes, toutes ses habitudes comme cette façon qu’elle a de lancer ses nattes dans le dos et de nettoyer ses lunettes avec un petit mouchoir en tissu, elle souffle sur les verres comme je le faisais enfant sur les vitres de la cuisine pour y inscrire le prénom de ma maman.
Elle caresse mes livres du bout des doigts. Elle penche la tête sur la gauche pour lire les titres, elle s’arrête devant l’élu du jour, lentement, elle le saisit délicatement comme si elle dénichait un oisillon. Puis, tout en examinant la jaquette, elle va s’asseoir dans le canapé que j’ai installé au fond de la boutique, pour y lire confortablement le quatrième de couverture.
Le premier jeudi du mois elle se balade dans la rangée des policiers, le second dans celle des romans toutes catégories et le quatrième jeudi elle le réserve aux romans policiers ou de science-fiction.
C’est ainsi, elle ne déroge jamais ni au jeudi, ni aux choix de ses lectures.
Parfois, elle me demande conseil, j’en suis ravi. Nous conversons agréablement sur les dernières parutions
Si elle est satisfaite de son examen ou des informations, elle s’approche de mon comptoir, et en souriant elle me tend le gagnant du jour, paie avec de la monnaie et s’en va en laissant traîner un sillage de vétiver en promettant un « A jeudi prochain Monsieur Guy »
Aujourd’hui...
Elle m’apporte en rigolant comme une gamine espiègle : Le dernier « Astérix » !