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Paroles d’avocats anthologie d’éloquence judiciaire

De Daniel Soulez Larivière

Chroniqué par Léo
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Je viens de lire « Paroles d’avocats — anthologie d’éloquence judiciaire » proposé par Daniel Soulez Larivière un maître incontesté du barreau, disparu en 2022.

Un livre qui propose des discours prononcés par de jeunes avocats sur les 150 dernières années retraçant des procès articulés autour des trois thèmes que sont la société, la littérature et le pouvoir.

Ne souhaitant cependant pas faire une sélection des discours et des styles qui m’ont le plus plu, je préfère partager avec vous certains thèmes que j’ai découvert, qui m’ont bousculé, surpris ou touchés, parfois transverses à différents procès évoqués dans l’ouvrage.

Dans Paroles d’avocats, Daniel Soulez Larivière propose bien plus qu’une anthologie. Les mots des avocats résonnent au-delà des crimes qu’ils défendent ou attaquent. Le tribunal devient théâtre, champ de bataille, ou encore confessionnal — mais toujours avec, en fil conducteur la parole comme seule arme face à la violence et au chaos, et tenter de faire ce qui semble être parfois impossible.

« Faire rentrer dans l’humanité un homme qui en est sorti par le crime et qui cependant est notre frère. »

Le pouvoir du langage pour traiter l’innommable où l’avocat apparait alors comme une passerelle de l'indicible comme dans les cas les plus difficiles comme peut l’être le procès de Guy Georges, le tueur de l’est parisien ou encore une très périlleuse plaidoirie pour le Marquis de Sade, de Jean-Marie Biju-Duval dont des extraits reportés, glacent le sang par leur cruauté. 

Ce livre secoue parce qu'il ne se détourne pas de ce que l'on ne voudrait ni lire ni connaître. 

Face à l’horreur absolue, l’avocat rend visible l’homme, là où il semble totalement disparu. Non par indulgence, mais par rigueur morale, car il est nécessaire de rappeler que la justice ne vise pas à se venger, mais à établir des faits et à prendre les mesures adaptées qui en découlent.

« Défendre le criminel est peut-être une des seules manières de se défendre du crime. »

Il en va de même dans l’affaire Desnoyer qui est un prêtre devenu assassin et coupable d’infanticide dont je vous passerai les détails sordides, qui a tué la femme qui portait son enfant afin de ne pas nuire à l’Église et dont il dira à la barre :

« Je ne comprends pas comment j’ai pu penser que je ne causerai pas un scandale plus grand en tuant qu’en laissant venir au monde ».

Dans ce procès comme tant d’autres, lorsqu’ils mettent à défaut des institutions (ici l’Église), et des hommes censés chérir la vie, être irréprochables, c’est toute la société et ses repaires qui est ébranlée et totalement démunie. 

« Le procès mené, portes fermées et bouches closes est, lui aussi, un rituel macabre. »

Et puisque nous sommes dans le sacré bouleversé par le crime, on peut aussi aborder la société déstabilisée par la subversion, puisque le livre aborde le procès de Flaubert à travers Madame Bovary, ainsi que celui de Baudelaire et ses Fleurs du mal :

« Baudelaire. Un homme. Une œuvre. Un procès. Il a souffert, il a écrit. Il fut condamné. »

Comme les criminels, les poètes et écrivains sont traduits en justice, non pour des actes, mais pour des mots provocants.


« Les Fleurs du mal sont amputées. »

Baudelaire dans son jugement devient un esprit contraint, un gêneur qu’il faut faire taire.

Il faudra attendre presque un siècle plus tard pour que la cour de cassation annule la condamnation des "Fleurs du mal" en 1949. 

Et puis il y a des procès politiques qui soulèvent les passions comme cela a été le cas avec l’affaire Sacco et Vanzetti dans les années 20 aux États-Unis concernant les anarchistes d’origines italiennes dont le jugement a été invalidé depuis. Un procès qui met à mal la vérité piégée par son propre langage. Témoignages contradictoires, passions politiques, rhétorique biaisée : l’éloquence y devient piège, instrument de confusion comme nous allons le voir.

« Il y avait eu plus de cinquante témoins de la fusillade, et déjà les faits se brouillaient pour faire place au mythe. Les bandits étaient bruns, ils étaient pâles. Ils étaient habillés de bleu, de kaki, de gris ; ils portaient chapeau, ils portaient casquette, ils étaient nus tête. Un seul avait un revolver, tous étaient armés. Il y avait eu trente coups de feu, il y en avait eu huit. La voiture était noire, elle était verte ; elle était brillante, elle était couverte de boue. Il y avait deux voitures… Il n’y avait pourtant qu’une vérité, c’était au Commonwealth du comté de Norfolk de la découvrir. »

Et si l’on ne peut même pas se fier aux témoins, il est tout aussi difficile de se fier à des experts totalement désaccordés, ne représentant plus la vérité mais le camp qui les fait venir à la barre :

« Allons, Messieurs, accordez vos microscopes ou vos consciences, mais ne nous laissez pas dans cette incertitude ! S’il y a doute, avouez que vous ne savez pas, mais les experts se doivent de savoir quelque chose… »

Et parfois la justice semble déjà rendue avant même que le procès ne commence :

« Ils sont coupables, sinon ils ne seraient pas exhibés dans ce box en forme de cage. »

Chacun sa place et chacun son rôle dans un engrenage implacable que rien ne saurait arrêter ; quand bien même le doute s’immisce, mais tout est déjà trop tard : « Mais sont-ils coupables ? L’hypothèse jaillit du cerveau du chef Stewart, qui a abouti à leur arrestation, est-elle réellement bonne ? L’accusation va s’efforcer de le démontrer. »

Et comme si cela ne suffisait pas, le tribunal est aussi lenthéâtre de grandes manœuvres pour ne pas dire de manipulations, où tout est permis pour faire plier les témoignages à ce que l’on souhaite démontrer. Dans ce cas, favorable à l’accusation :

« En réalité, il connaît parfaitement la sincérité des opinions de l’inculpé ; ce prétexte servira seulement de base légale à un contre-interrogatoire harassant, au cours duquel, pendant trois jours, il excitera la passion des jurés qui ont tendance à confondre « patriotisme » et « justice ». Pris au piège du langage, bombardé de questions, obligé de répondre par oui ou par non, Sacco s’entendra dire que « l’amour d’un pays, c’est la nourriture, la femme et l’argent qu’on y trouve ».

L’ouvrage permet aussi de prendre en compte le paramètre de l’émotion dans le discours judiciaire, souvent le ciment de l'éloquence.

« Comprenons enfin qu’on ne saurait persuader sans émouvoir… »

Entre logique et passion, le langage de l’avocat est double. Il s’adresse autant à l’intellect qu’aux instincts, au rationnel qu’à l’inconscient. L’affaire Lafarge en témoigne et il y est également question de lutte de classes, celle des provinciaux face à Paris : « Ce qui est intéressant, c’est de voir comment se lient, se croisent, se mêlent, se portent ces deux problèmes dont l’un — la culpabilité ou l’innocence de l’accusée — est d’ordre purement logique, dont l’autre — la victoire de la province ou de Paris — est d’ordre purement passionnel. »

« La croyance en son innocence rallia toutes les exaltations et toutes les révoltes. »

Le procès devient l’écran de projection d’une époque, de ses mythes, de ses peurs, de ses tensions idéologiques. Ce qui permet aussi d’aborder la question des procès comme mirroir de nos sociétés divisées. 

« Les corbeaux appartenaient à tous les camps. »

Daniel Soulez Larivière dans ses sélections montre que le procès est aussi un reflet de nos peurs collectives. Desnoyer, Sacco, Baudelaire.. : chaque affaire révèle un monde qui se cherche entre morale, politique, foi et raison. Il rappelle aussi que les peurs collectives et individuelles peuvent aussi avoir des conséquences mettant en péril les libertés individuelles. 

« Retiens bien ! L’histoire finit toujours par condamner les peuples qui sacrifient leurs droits pour leur sécurité. »

Et puis il y a aussi les combats de tous les instants que l’on souhaiterait totalement aboutis comme celui des droits des femmes dans la société française défendu par Camille Ducreux à l’ouverture de la conférence des avocats, le 20 novembre 1897, intemporel.

Lire Paroles d’avocats, c’est mesurer à quel point la parole peut encore faire face au tragique du monde. L’éloquence judiciaire, quand elle est sincère, devient une tentative de rédemption, une vérité fragile, un dernier rempart contre la barbarie — celle du crime, mais aussi celle du silence.

Ce sont 23 textes en tout, un travail d’éloquence avant toute chose et dont les différentes contributions sont tout de même de niveaux très inégaux et majoritairement besogneux (forcé dans le style ou alors un peu trop techniques pouvant exclure les lecteurs très éloignés du champ judiciaire). Mais un ouvrage passionnant dans ce que les procès ont à nous enseigner.

C’est enfin un livre qui nous permet de d'approfondir le métier d’avocat, médiateur entre l’humain et l’inhumain : « Ça doit être ça, un avocat… Quelqu’un qui sait ce qu’ont fait vos mains, et qui continue à les serrer. »

L’avocat en certains procès emblématiques qui résistent aussi au mensonge collectif, qui se veulent dissident du système qu’il connait par cœur : « Gardons-nous de nos illusions. Il faut quinze jours à un gouvernement pour transformer un crime en avertissement. ». Et comme le démontre le livre, un écrivain doublé d’un conteur, attentif dans l’écoute pour comprendre, se saisir des nuances et dans les mots pour raconter et convaincre, que rien n’est jamais aussi simple qu’il n’y parait. Il ne cherche pas à blanchir le crime, mais à faire entendre ce qu’il dit de nous tous. Il n’est pas là pour absoudre, mais pour défendre ce qui reste d’humain dans l’horreur.

 

Ces 500 pages sauront, je pense, vous en convaincre.

 

Et après lecture, une question me taraude tout de même : qu'avons nous appris de ces siècles de prétoires, rien ? On dit que l'Histoire est un éternel recommencement, en est-il de même de la justice ? Quel changement de paradigme pourrait s'opérer de toute cette connaissance sur la  psychée humaine afin que l'on puisse contrer le mal à sa racine ?

 


Publié le 14/07/2025
Commentaires
Publié le 14/07/2025
Il y avait du désordre dans les notes et dans leur agencement, je viens d’y remédier.
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