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Fahrenheit 451

De Ray Bradbury

Chroniqué par Léo
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Fahrenheit. 451 de Ray Bradbury est un incontournable de la littérature d’anticipation. À la différence de 1984, qui aujourd’hui semble être devenu à bien des égards une prophétie de notre société moderne, Fahrenheit 451 décrit une société totalitaire qui vise à rendre les gens heureux, et pour ce faire en plongeant sans réserve dans la société du spectacle que Guy Debord a fustigé quelques décennies plus tard. À cet égard « Fahrenheit 451 » a quelque chose également de prophétique.

 

La société décrite par Ray Bradbury adapte ses codes et ses lois de façon à ce que la population n’ait pas à réfléchir, ni à remettre en question d’une quelconque forme, que ce soit leur quotidien bien en place.

 

C’est ainsi que l’on découvre atterrés que l’on puisse prendre des amendes si l’on ne conduit pas assez vite ; l’idée étant, que la grande vitesse nécessite une plus grande attention qui doit être portée à la route, ne laisse place à aucune forme de réflexion trop intense. À noter que même les panneaux publicitaires, histoire de grignoter la moindre attention résiduelle s’adapte pernicieusement à ce nouveau règlement :

 

« Vous avez vu les panneaux d’affichage de soixante mètres de long en dehors de la ville ? Saviez-vous qu’avant ils ne faisaient que six mètres de long ? Mais avec la vitesse croissante des voitures, il a fallu étirer la publicité pour qu’elle puisse garder son effet. »

 

C’est dans cet univers de contrôle absolu, que nous suivons Montag, un pompier d’un nouveau genre rétribué pour faire périr tous les livres existants par les flammes de l’inquisition étatique. Le livre est vu comme un fléau, corrompant les âmes en les rendant malheureuses. Source de comparaison et de supériorité :

 

« Chaque homme doit être l’image de l’autre, comme ça tout le monde est content ; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison. Conclusion ! Un livre est un fusil chargé dans la maison d’à côté.

Brûlons-le. Déchargeons l’arme. Battons en brèche l’esprit humain. Qui sait qui pourrait être la cible de l’homme cultivé ? Moi ? Je ne le supporterais pas une minute. »

 

Et le crime, encore plus impardonnable pour des livres, celui de faire naître la réflexion et de la développer :

 

« Elle ne voulait pas savoir le comment des choses, mais le pourquoi. Ce qui peut être gênant. On se demande le pourquoi d’un tas de choses et on finit par se rendre très malheureux, » ou encore « « Je ne parle pas des choses, avait dit Faber. Je parle du sens des choses. Là, je sais que je suis vivant. »

 

Où même la poésie est sujette à souffrance :

 

« Je l’ai toujours dit, poésie égale larmes, poésie égale suicide, pleurs et gémissements, sentiments pénibles, poésie égale souffrance ; toute cette sentimentalité écœurante ! »

 

Jusqu’au jour où Montag va se mettre à douter et remettre en question l’ordre bien établi dans lequel il s’inscrit. Il semble alors comprendre qu’une vie sans émotion est incroyablement vide et ne mérite ainsi pas d’être vécue.

 

C’est ainsi qu’il va faire voler en éclats jusque dans sa cellule familiale, dans laquelle on appelle « famille » les écrans aux programmes étatiques qui personnalisent les contenus jusqu’à inclure le nom des membres du foyer dans les répliques conduisant à un semblant d’interactions. C’est ainsi que l’on rejoint la « famille » dans la salle de vie qui débite des images heureuses et colorées, niaises et superficielles, toutefois entrecoupées de chasses à l’homme où l’on suit un robot-limier chargé d’appréhender les suspects pour les supprimer, avec l’aide des téléspectateurs.

 

Plus que l’éveil de Montag, qui conduira le héros à rejoindre la résistance, l’ouvrage de Bradbury, nous fait réfléchir sur la notion du bonheur, du contrôle et de sa légitimité de l’exercer sous couvert du bien du plus grand nombre (une notion que l’on retrouve dans « Justice » de Michael J.Sandel que j’ai chroniqué également), du mal sous couvert du bien…

 

Un livre de fond, philosophique lorsque le supérieur de Montag jette le trouble et fait douter le pompier sur cette phrase de Pascal : « Qui veut faire l’ange fait la bête ».

 

Citation décontextualisée de l’originale dont voici la partie occultée :

 

« L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. »

Blaise PascalPensées.

 

Qui se rapproche d’ailleurs dans l’idée de la fameuse citation de Bernard de Clairvaux :

 

« le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions ».

 

Une réflexion passionnante sur l’importance de se méfier des sirènes qui séduisent en ne voulant apporter que du bien en amputant ne serait-ce qu’une once de votre liberté, combien même ce soit un sacrifice dispensé sur l’autel du prétendu indispensable bonheur… Et une réflexion profonde sur les chevaliers blancs qui se sentent investis d’une mission morale à imposer à autrui et plus largement à la société toute entière. Lorsque la quête absolue du bien, mènent aux pires dérives du mal.

 

Un livre que je vous recommande de lire comme un miroir de notre société et plus encore de nous même, comme le suggère Ray Bradbury « Allez, pour commencer, nous allons construire une miroiterie et ne produire que des miroirs pendant un an pour nous regarder longuement dedans. »

 

Et puisque j’y étais j’ai plongé également dans l’adaptation cinématographique de 1966 de François Truffaut particulièrement fidèle sur la première partie de l’ouvrage, avec sur la seconde partie du roman un bien plus large liberté d’adaptation (Faber n’existe pas, l’issue de la guerre n’est pas abordée et l’existence des limiers guère plus), on y gagne cependant à y découvrir le trait d’humour du réalisateur ainsi que sa vision des oeuvres essentielles de la littérature qui ne figurent pas dans le livre mais qui sont bien porté à l’écran.


Publié le 30/08/2025
Commentaires
Publié le 30/08/2025
Merci Léo, je l’ajoute dans ma liste :-)
Publié le 31/08/2025
Un incontournable à mes yeux.
Publié le 31/08/2025
Très bonne lecture de mémoire, j'avais aussi beaucoup aimé le film!
Publié le 31/08/2025
Oui vraiment excellent, et pour le film, les choix de réalisation de Truffaut amènent aussi sont champ de réflexion. A plus tard Aurélien.
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