Je viens de finir 1Q84, livre 2 d’Haruki Murakami et me voici un peu plus satisfait. Si le livre 1 mettait en place de façon interminable les personnages et leur histoire, le livre 2 fait place à l’intrigue et enfin à un peu d’action, entremêlé de mystères pour accompagner ce récit totalement singulier.
Une histoire de distorsion qui nous plonge dans la métaphysique des êtres, paumés en des mondes qu’ils ne comprennent pas, aux enjeux qui les dépassent, ou même qu’ils ignorent. Une quête de l’équilibre, du Yin et du Yang à la sauce Murakami influencé par Carl G. Jung :
« Là où il y a de la lumière, il y a nécessairement de l’ombre, là où il y a de l’ombre, il y a nécessairement de la lumière. Sans lumière il n’y a pas d’ombre, et, sans ombre, pas de lumière. Carl G. Jung a expliqué ces choses-là dans un de ses livres. »
Cependant ce mieux ne parvient tout de même pas à me transcender tant je trouve le tout poussif et confus. Et même terriblement effarant lorsque l’inceste d’un père envers sa fille et ses relations sexuelles avec d’autres fillettes d’une dizaine d’années sont qualifiées « d’échange polysémique », puisque se faisant cela permettrait l’interconnexion entre les mondes sur un système de perception et de réception dont je vous livre un extrait ici, car ce ne sera jamais mieux explicite que par l’auteur lui-même, ATTENTION SPOILER :
« Si Aomamé tenait pour vraies les paroles de cet homme, ils avaient eu des échanges polysémiques. Et à travers ces actes, Fukaéri avait guidé vers lui les Little People. Comment avait-il appelé cela, déjà ? Ah oui, PERCEIVEr et RECEIVER. Ériko Fukada était celle qui “percevait” les choses, son père, celui qui les “recevait”. Ensuite, l’homme avait commencé à entendre des voix particulières. Il était devenu le représentant des Little People et le gourou de l’association religieuse dite Les Précurseurs. Par la suite, Fukaéri avait quitté la secte. Dans un mouvement de résistance anti-Little People, elle avait formé une équipe avec Tengo pour composer le roman La Chrysalide de l’air, qui était devenu un best-seller. Et puis elle avait disparu. La police la recherchait. »
Cet homme et cette pratique remplacent une chèvre morte qui servait jusqu’alors de jonction entre deux mondes (sigghhh)
Sachant que la fille de cet homme et les autres fillettes auraient créé une sorte d’avatar (répliques irréelles d’elles-mêmes appelées « daughter » dont l’originale se nomme « Mother » (re sighhhh) et que ce serait ces « doublures perceptives » qui auraient eu cette relation ce qui fait douter la tueuse à gage Aonamé chargée de le liquider.
Ah oui, pour savoir si l’on est toujours dans l’Ancien Monde, plutôt que le nouveau, il faut s’en référer à la lune : unique dans le monde d’avant et double dans le Nouveau Monde… à la condition de voir ces deux lunes car tout le monde ne peut pas les voir. (Re re sigghhhh) A noter d’ailleurs que l’importance des astres permet en marge d’esquisser une réflexion sur les notions d’héliocentrisme s’opposant au géocentrisme.
Parmi les plus grandes étrangetés, je suis aussi retombé sur un des mystères que j’avais pu lire dans « le livre secret des fourmis — encyclopédie du savoir relatif et absolu » de Bernard Werber, celui du Roi des rats (phénomènes reliant des rats (jusqu’à plusieurs dizaines) par la queue sauf que cette fois, Murakami imagine que ce phénomène soit le cas avec trois gros serpents noirs :
« Une nuit, une chrysalide de l’air apparut dans la chambre de Tôru. Pendant que Tôru dormait, les Little People la firent grandir nuit après nuit. Les Little People se servaient des rêves pour montrer à la fillette ces scènes nocturnes. Mais elle ne pouvait les arrêter. La chrysalide devint finalement assez grande et se fendit sur sa longueur. Comme cela s’était passé avec elle dans le grenier. Mais cette chrysalide renfermait trois gros serpents noirs si solidement entremêlés que personne — pas même eux — n’aurait pu réussir à les séparer. On aurait dit un enchevêtrement visqueux à trois têtes. Qui ne se dénouerait jamais. Les serpents étaient terriblement enragés de ne pas réussir à se libérer. Ils s’acharnaient désespérément, mais plus ils se débattaient, plus la situation empirait. Les Little People montrèrent cette scène à la fillette. Le Jeune garçon, Tôru, à côté, continuait à dormir. Seule la fillette pouvait voir le spectacle. »
À noter aussi que les avatars peuvent disparaître à tous moments :
« İls choisissaient les proies les plus faibles. Ils avaient trouvé au fond de l’esprit du jeune garçon les trois serpents noirs et ils les avaient éveillés. Avec la disparition du jeune garçon, ils donnaient un avertissement à la fillette, ils lui disaient de revenir près de DAUGHTER. »
Ma seule grande satisfaction à l’écriture de cette chronique est d’avoir mis en fond sonore pour me motiver : la Sinfonietta de Janáček dont la musique est un personnage à part entière et omniprésent dans ce livre de Murakami.
Enfin, je garde pour acquis pour ne pas rester intellectuellement bredouille cette anecdote sur l’écriture de Tchekhov qui préférait un récit épuré de tout superflu :
« Tchekhov a dit, déclara Tamaru en se levant lentement, que si un revolver apparaissait dans une histoire, il fallait que quelqu’un s’en serve.
Tamaru se tenait face à elle. Il la dépassait seulement de quelques centimètres. « Cela veut dire qu’on ne doit pas faire apparaître d’accessoire sans nécessité dans une histoire. Si un revolver apparaît, il est nécessaire qu’on s’en serve quelque part. Tchekhov aimait écrire des romans dépouillés de tout décor inutile. »
Et enfin l’idée qu’un chat végétarien puisse tout de même mettre à mort une souris pour l’échanger contre une laitue.
Pour tout vous avouer — je pense que vous l’aurez compris — je suis dans le dur en résistant à l’envie sincère de ne pas perdre davantage de temps, mais puisqu’il ne me reste qu’un seul livre je vais aller au bout dans l’espoir que tout ce ramassis anthropo-philosophico-poético-astronomico-polaro-fantastico-opaque puisse s’avérer être l’un des plus gros chefs-d’œuvre littéraires dont le dénouement récompensera mon incompréhensible patience.
L’onirisme peut s’avérer être une valeur ajoutée et même sauver du naufrage bien des créations, mais dans ce cas, il pose bien des difficultés à mon côté cartésien qui ne cesse de me convaincre qu’il s’agit là d’une des plus grandes arnaques littéraires contemporaines.
Que ce dernier livre qu’il me reste à lire puisse enfin me faire rencontrer le grand Haruki Murakami que l’on me promettait et qui pour l’instant, au-delà d’une maîtrise de l’écriture évidente, ne suffit pas à me convaincre d’en lire davantage de lui.