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Extrait : La lutte afro-européenne, Booba : de l'esclavage à la piraterie

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« On m’a déjà tué deux fois

Une fois à Memphis, une fois à Harlem

Jamais deux sans trois

J’attends ces fils de p***, qu’ils viennent » (0.9)

Martin Luther King est mort à Memphis et Malcom X à Harlem. Tous deux morts pour la cause Noire. Ses intentions sont aussi claires que son combat est réel. Il est prêt à mourir et s’y prépare. Il dissémine quelques indices comme ceux-là à travers son œuvre pour indiquer la sincérité de sa démarche que son parcours confirme, éclaircissant ainsi, malgré tout, ses textes et ce style incisif et saisissant.

« Mon rap a été crucifié à en devenir Christ

Vivre à en crever, rire à en devenir triste » (Paradis)

L’homme et l’artiste ne font qu’un puisqu’il rappe à visage découvert, brouille les pistes à en devenir hermétique, difficile à suivre grâce à cet entretien rigoureux du doute dans la teneur de ses propos. Tout ce temps écoulé à porter le costume de cette brute épaisse et stupide qui fait couler tant d’encre lui permit de progresser dans la lumière comme dans l’ombre, d’amasser une fortune et diffuser, profitant du hublot, des messages plus ou moins codés… Représentant une communauté, il s’efface derrière un discours. S’il ne pense pas tout ce qu’il dit, il dit tout ce qu’il pense et porte un message qui le dépasse, d’anonymes n’ayant aucune tribune, et décrit, mot pour mot, l’atmosphère pesante de la rue. Il fait ainsi acte de sacrifice et préfère être haï par la foule et l’intelligentsia mais apprécié par les siens, ses semblables ; ce qui est préférable à l’inverse.

Le bien, le mal, tout ceci est relatif, Booba, la rue, l’enfant de l’exil, est focalisé sur ses intérêts.

« J’me suis juré d’être loyal

J’suis jnouné, couronné

C’est ça d’être royal

Mords à l’hameçon ou c’est la noyade

Je reste incompris,

Ma carrière est incroyable » (Oklm)

Qu’il morde à l’hameçon ou qu’il se noie, le sort du pirate est scellé ; qu’il vienne de banlieue ou d’ailleurs. Mordre à l’hameçon renvoie ici à la criminalité, au trafic et à la débrouillardise. La noyade est sociale et fait écho à la formule de l’époque Lunatic « Qu’est ce vous croyez ? Qu’on allait rester là à se laisser noyer ? » (Seul le crime paie) évoquant le dessein d’une société malveillante à l’égard des immigrés et de leurs enfants, des indépendants, des rêveurs, des marginaux qui a façonné un monde hostile qui brime les initiatives, annihile les différences et exècre la nature sauvage des hommes et des femmes de bonnes volontés, sincères et authentiques. Il leur faudra, malgré tout, livrer bataille dans un combat perdu d’avance et « mord[re] à l’hameçon » en vue de ne pas se noyer afin de permettre, peut-être, à la situation d’évoluer pour les générations futures.

« Laissez-moi penser qu’ils seront sauvés

Prenez-moi si vous le voulez,

Refermez derrière-moi » (Dernière fois)

Booba, en capitaine du bateau-pirate, se dit littéralement prêt à se sacrifier pour que sa caste puisse survivre au massacre politico-social de la France de la toute fin du XXe siècle au début du XXIe siècle. La porte dont il est question correspond peut-être à celle de la mort, de l’enfer ou du bannissement. S’enfonçant dans les ténèbres, dans les tréfonds d’une société souterraine qui rend impossible tout retour en arrière, il tente de préserver un semblant d’espoir, de servir d’exemple afin que ceux qui suivent et qui arriveront ultérieurement puissent bénéficier de l’air que l’on respire en surface profitant d’un nouvel espace noble sur un terrain de révolte constructive conquis par le travail, l’effort, le courage, l’audace, les rêves et un amour intense pour ceux qui traversent la même mésaventure avec la même endurance :

« On n’est pas du même groupe sanguin, pas du même crew*

Cousin, la même haine » (Groupe sanguin)

 

Nous vous avons invité dans la peau d’un pirate, au cœur de la racaille, des rêves qui brûlent en eux, des convictions qui animent leurs quotidiens, de la colère qui empoisonne leur destin et de leur forte identité riche de leur double culture. Mais aussi du triste décor qui leur a été imposé par des décisions politiques, géopolitiques et idéologiques, jadis racistes et/ou suprémacistes, aujourd’hui paternalistes, suffisantes et négligentes qui sous-estiment ses nouveaux arrivants, ignorent presque tout de leur culture, de leurs sensibilités, de leur Histoire car, dans un complexe de supériorité, ils ne s’y intéressent pas. Or, cela a de graves conséquences car cette jeunesse aussi, pas moins que des énarques, veut connaître la joie, la sérénité, la réussite, voire le luxe, le succès et le sentiment de pouvoir. Cette jeunesse est profondément française et aime sa nation mais cet amour paraît à sens unique et cette observation ne génère, en général, que de violentes réactions. C’est pourquoi, périodiquement, des émeutes explosent. Cette jeunesse est très largement capable de contribuer à l’évolution de son pays, à son adaptation au monde moderne hyper mondialisé, voire créolisé, et à participer à sa grandeur. Mais il lui faut, entre autres, lutter contre son propre complexe d’infériorité et affirmer, à l’instar de Booba, sa singularité sans chercher à plaire ni entrer dans une posture démagogique hypocrite et stérile devenant un atout pour la nation (ce qu’elle est déjà), et plutôt que de chercher à être accepté dans une discrétion creuse, qu’elle cherche à rendre la France meilleure, plus forte, plus belle et plus vivante que jamais.

La France doit impérativement faire confiance à ses enfants, de l’aîné jusqu’au benjamin, égalitairement ; ce geste simple leur fera pousser des ailes immenses car là ce sont des griffes que cette relation fondée sur la défiance fait sortir ; c’est à notre sens, l’enseignement qu’il faut retenir du passage de Booba sur le territoire du commun des mortels… La société a une immense responsabilité sur le sort et le devenir de ses concitoyens à travers le pouvoir du regard qu’elle porte sur eux car c’est en diabolisant un être que l’on en fait un être diabolique ; il suffit de traiter un enfant comme un animal pour qu’il se comporte comme tel, inversement responsabiliser un enfant le rendra responsable, le respecter le rendra respectable, l’aimer le rendra aimable…

On ne naît pas racaille, on le devient…

Ce rap est hardcore (dur et violent) car il est un reflet de la vie et du parcours de ses auteurs et/ou de leur environnement. La haine n’est ici qu’un bouclier face au effets néfastes de la déception et de la désillusion ; elle transforme la frustration paralysante en énergie stimulante et vivifiante. Mais il faut un minimum d’amour pour percevoir toute la peine et la douleur que l’expression de la colère éclipse. Il n’y a rien d’ethnique, de communautaire, de religieux, ni même de médical dans ce malaise en banlieue, tout est une question de social, de politique, d’économie et finalement, tout est logique : chaque effet a une cause, chaque cause a une intention, si le résultat est médiocre, voire mauvais c’est que l’intention était malveillante.

La ghettoïsation est un poison pour le vivre ensemble, c’est une évidence.

Et Booba c’est le poison avec une plume.

 

« C’était les récits d’un p’tit

Qu’aurait dû voir un psy

Qu’avait jamais rêvé d’devenir un MC » (Tony Coulibaly)


Publié le 22/01/2025 / 21 lectures
Commentaires
Publié le 24/01/2025
Il me semblait que c’était un doublon mais il y a de notables différences avec la précédente version publiée. Il me semble que vous êtes un gros travailleur avec le soucis des mots justes et affinés, aiguisés comme peuvent l’être les punchlines que vous prélevez pour offrir un écho à la fois collectif que très personnel à travers votre style. Cette capacité de parler à tout le monde et en même temps à chacun est très importante pour trouver son lectorat. A suivre, vous avez piqué ma curiosité.
Publié le 25/01/2025
Merci pour ces mots. En publiant cet extrait, je me suis rendu compte de certaines imperfections, j'ai, grâce à ce site, corrigé le texte, y compris sur Amazon. C'est un livre plutôt ambitieux dans lequel j'ai tenté quelque chose de novateur. J'exploite mes propres analyses de citations pour dresser un portrait politique, psychologique et sociologique du malaise en banlieue, ce concentré de la mondialisation. Et Booba est une mine d'or poétique si l'on extrait la "substantifique moelle" dont parlait Rabelais. Ce n'est pas l'extrait le plus poétique de l'ouvrage mais je voulais que mes prochains lecteurs aient une idée juste du contenu. À bientôt, je vous lirez à mon tour avec plaisir dès que possible. Younes B.
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