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Votre cerveau vous joue des tours

De Albert Moukheiber

Chroniqué par Léo
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« Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui avant, ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel » : cette citation d’Umberto Eco reprise dans « Votre cerveau vous joue des tours » témoigne bien de l’avant et de l’après des réseaux sociaux qui changent considérablement le rapport aux autres, à notre société, et aux nommbreux défis que cette dernière a à relever.

 

Et bien évidemment, chacun est persuadé que l’imbécile est bien cet autre qui ne pense pas comme soi. De l’importance de commencer par le commencement et de faire le point sur l’organe qui nous amène à penser et à interagir : le cerveau.

 

« Votre cerveau vous joue des tours » d’Albert Moukheiber, jeune docteur franco-libanais en neurosciences parvient en finalement très peu de pages à rendre accessible et compréhensible les pièges que nous tendent nos cerveaux et dans lesquels nous tombons quasiment à tous les coups, si nous n’agissons pas pour en comprendre le fonctionnement.

 

Ce livre regroupe quelques tests et de très nombreuses expériences passionnantes (connues et moins connues) menées dans le passé, nous permettant à travers des explications claires de comprendre que le cerveau aime à remplir le vide, créer, interpréter et même réécrire le passé. Au point même de ne pas toujours nous souvenir des choix que l’on fait, mais de les justifier. On y aborde différentes notions essentielles comme l’inférence, la pensée intuitive. Et l’on comprend également que le cerveau est soumis à des environnements qui influent considérablement sur nos raisonnements, comme peuvent l’être le stress et l’anxiété. Des conditions et des raccourcis que sont les terribles biais cognitifs qui nous mènent à l’illusion d’un savoir, et de plus en plus à nous réfugier dans l’entre-soi et dans un conformisme qui peut poser de plus en plus de problèmes.

 

La dissonance cognitive ou encore le locus de contrôle qui nous amène à comprendre l’impuissance acquise ou à l’inverse l’illusion de contrôle y sont également bien expliqués et apportent de nouvelles briques pour une prise de conscience éclairée de la difficulté que nous pouvons rencontrer à avoir une pensée rationalisée ou un peu plus équilibrée.

 

Ce livre est essentiel à l’heure des réseaux sociaux donc, mais plus encore sur ce qui emprunte ces réseaux : les « infox » et autres « Fakes news » avec notamment cette information saisissante « le MIT a retracé la circulation sur le Net de 128 000 informations, la moitié fausses, la moitié vraies. Analysant les résultats de cette étude, il constate que les infox voyagent six fois plus vite que les vraies informations : simplicité, caractère spectaculaire, dégoût et surprise sont les premiers carburants générateurs de clics. »

 

Une bataille qui semble perdue d’avance sauf si chacun prend ses responsabilités et travaille sur son propre fonctionnement comme le suggère le clinicien :

 

« Réfléchissez aux mécanismes cérébraux qui sont à l’œuvre quand vous pensez, quand vous croyez, quand vous jugez. Si vous sentez que votre corps est sous tension parce qu’un sujet vous stresse, doutez un peu ; si vous sentez qu’une croyance vous tient à cœur au point que vous ne pouvez supporter de la voir mise en doute, vous saurez que vous êtes en partie aveuglé par un raisonnement motivé : alors doutez un peu ; si vous jugez quelqu’un spontanément, demandez-vous sur quoi repose votre jugement, repensez au contexte, doutez un peu. Rappelez-vous que cette personne fonctionne selon les mêmes mécanismes que vous, et essayez de réserver votre jugement jusqu’à ce que vous ayez compris ce qui a pu la pousser à agir.

 

Savoir douter de nos pensées, de nos émotions et de nos intuitions quand cela est nécessaire nous conduit à voir à nouveau le monde dans toutes ses nuances et sa complexité et à nous débarrasser de nos œillères. En prenant du recul par rapport à nos certitudes, en nous empêchant d’avoir une vision manichéenne des hommes et des situations, nous nous offrons une chance de recréer du lien.

Acceptons de faire chacun cet effort pour recoudre ensemble le tissu social, pour renouer le dialogue, pour avoir à nouveau le monde en partage. »

 

Si peu de biais cognitifs sont abordés (une quinzaine sur plus de 188 que compte le codex de John Manoogian), les plus incontournables sont évoqués et bien expliqués. De plus, le livre reprend dans un glossaire bien utile en fin de livre les notions clés pour nous les remémorer jusqu’à nous les approprier, pour mieux déjouer les pièges tendus par notre cerveau. Mieux comprendre notre fonctionnement pour mieux comprendre celui des autres également et sortir de ce vortex d'incompréhensions et de rejets des autres qui nuit considérablement à notre avenir commun. 

 

Pour conclure, un livre important et passionné, à lire et recommander autour de soi.


Publié le 19/01/2025
Commentaires
Publié le 19/01/2025
Alors finalement combien donnes-tu à ce livre sur les biais cognitifs? En parlant biais cognitifs, j’avais bien aimé « Système 1, Système 2 » de Daniel Khanemann lecture perturbante pour ma part, car après j’avais tendance à ramener beaucoup à ce prisme j’étais "khanemanisee". Quoi que l'on fasse, les biais de confirmations, les généralisations abusives sont démocratiquement partagées par tous les cerveaux. Il y a un dernier numéro de Cerveau et Psycho qui s’intéressait d’ailleurs au « syndrome du prix Nobel »… et qui va dans le sens de ta revue: dès que l’on ne doute plus on s’en trouve victime et recevoir le Nobel pourrait aider à ne plus douter de rien à s'affranchir de l'opinion des pairs (ils parlent notamment des voix dissidentes comme celles de Raoult ou même Onfray qui ne parlent pas avec les autres de leur discipline mais à des non-spécialistes comme pour éviter toute contradiction sérieuse). Le deuxième paragraphe où tu cites la formule « l’imbécile c’est toujours l’autre » me semble trahir l’idée attribuée à Umberto Eco. Je la partage. J'ignore ce que ton auteur en fait mais loin d'être méprisante, pour moi la formule renvoie à la distinction entre opinion et savoir. Tocqueville prophétise le triomphe de l’opinion dans De la Démocratie en Amérique mais avec l’ère globale des réseaux sociaux le phénomène s'est accéléré on voit les gens qui travaillent des années contredits en une seconde par Duchmol. À partir de là, l’influence n’est plus une autorité tirée d’un titre, d’un métier ou d’une expérience scientifique mais bien d’un impact en nombre de vues quelle que soit la teneur du message vrai ou faux, impartial ou partial, creux ou vide, c’est seulement la popularité qui compte. En bref, on s'en fiche que ce soit vrai si c'est populaire et cela au détriment de la recherche de la vérité. Exemple: on écoute un ancien-ministre de l’éducation nationale climatosceptique sur le réseau social et le climatologue du GIEC peine à se faire entendre. Un prof de prépa de l'ENS spécialiste d'histoire politique qui a la gentillesse de proposer des réponses à ceux qui lui demandent des bibliographies pour s'instruire est insulté par des personnes qui n'ont même pas les arguments de leurs idées. Bref, si l’entre-soi désigne une communauté d’experts, il est normal qu’il existe cette communauté comme dans chaque corps de métier, c’est même plutôt rassurant ça veut dire qu’ils peuvent construire du savoir ensemble. Chacun a une opinion. Tout le monde n’a pas un savoir: sinon il n’y aurait ni métier ni avis spécialisé. Je trouve imbécile de prétendre pouvoir débattre avec un expert quand on ne partage pas ses bases de raisonnement ou les règles de la discipline. Un peu comme si je prétendais jouer aux échecs en renversants les pièces sur l'échiquier (j'ignore les échecs). Bref, quand on fait cela, on donne une opinion ou des objections que nous ne sommes pas en état de formuler comme les gens qui veulent apprendre au boulanger à faire son pain parce qu’ils ont un four! Bref, il y existe des biais cognitifs dans les tests, dans les passations, dans la recherche c’est une évidence mais c’est le fait d’avoir d’avoir une communauté critique de chercheurs qui permet de limiter les biais cognitifs: définition commune, méthode commune, critique méthodique systématique c’est pour moi différent d’une critique d’opinion. Sur X ex Twitter entre autre, on voit un petit effet Dennis Kruger chez les plus raisonnables. Sinon, tu ne nous dis pas ce qui t'a conduit vers ce livre sur le cerveau plutôt que vers d’autres livres. Est-ce qu’il t’a été conseillé ? Est-ce la couverture sympa? En office? Qui est l'auteur (je ne le connais pas). Il y en a de nombreux sur le thème qui paraissent en ce moment depuis l’avènement des neurosciences notamment les livres d’Olivier Houdé. C’est difficile de savoir par quel bout prendre cette littérature parce que ça foisonne sur les bibliothèques...
Publié le 20/01/2025
Salut Myriam, et merci pour ton retour passionnant. Je ne vonnais pas les travaux de Daniel Khanemann, à creuser donc. Mais je suis d’accord, plus on creuse, plus on doute. Tout ce qui n’est pas entre guillemets me concerne et effectivement il y a une autre citation qui me plaît beaucoup et sue je ne saurais attribuer qui dit « on est tous le con de quelqu’un ». Concernant l’apprentissage, l’auteur partage le modèle de Dunning et Krueger qui illustre bien que le savoir n’est pas binaire je sais/je sais pas mais plutôt graduel, nécessitant des efforts, et surtout du temps. Et pour ce qui est du référentiel commun je suis sur un nouveau livre que je chroniquerai une fois lu qui montre comme tu le dis si bien, l’importance de bien se mettre d’accord sur ce que l’on nomme… tout cela est plus sue passionnant !
Publié le 20/01/2025
J’aurais souhaité mettre 3,5. Mais ne pouvant pas je vais mettre 3. 4 étant l’appréciation mise à Kerouac. Il y a une grande différence à les yeux entre agréger du savoir et écrire de la littérature…
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