Dans une prairie éclatante de couleurs, vivait une fourmi pas comme les autres : Frida, la fourmi rose. Oui, rose ! Pas un rose discret, non : un rose éclatant, pétillant, joyeux. Frida portait toujours une robe en pétales de pivoine, un sac à dos en soie de rose trémière et un petit chapeau brillant orné d’une perle de rosée. Quand elle marchait, on aurait dit une étincelle de bonheur qui trottinait entre les brins d’herbe.
Frida travaillait au Centre des Petits Papillons, un lieu merveilleux où elle s’occupait d’enfants insectes un peu particuliers : des coccinelles rêveuses, des abeilles distraites, des chenilles qui oubliaient leurs chaussures, et même un papillon qui confondait toujours le haut et le bas. Ces enfants étaient différents, chacun à sa manière, mais Frida les aimait profondément. Elle disait souvent :
— Ce n’est pas parce qu’on ne vole pas tous pareil qu’on ne peut pas s’envoler ensemble !
Chaque matin, Frida arrivait au centre avec son éternel sourire et son fidèle compagnon : Rosyphone, un téléphone magique trouvé un jour dans une boîte de biscuits tombée d’un pique-nique humain. L’appareil, immense pour une fourmi, avait une coque rose brillante et un écran fissuré en forme de cœur. Frida l’avait adopté aussitôt.
Rosyphone était un peu capricieux, mais très utile. Il vibrait, sonnait, parlait, et parfois même chantait.
— Bonjour Frida ! gazouillait-il d’une voix métallique. Aujourd’hui, tu as trois sorties, deux goûters et un atelier de bulles de rosée !
— Merci, Rosyphone, mais parle plus doucement, les escargots dorment encore !
Frida utilisait Rosyphone pour tout : organiser les sorties, noter les allergies au pollen, chronométrer les siestes, et même diffuser de la musique pour les séances de relaxation. Mais parfois, le téléphone faisait des siennes. Il lançait des alarmes au mauvais moment, se mettait à raconter des blagues pendant les histoires, ou diffusait des chansons de danse au beau milieu d’un moment calme.
Un matin, Frida décida d’emmener tout son petit groupe en sortie au bord du ruisseau. Elle avait tout prévu : les paniers de miettes, les serviettes de pétales, les jeux de galets, les bouteilles de rosée fraîche. Elle avait même préparé un plan d’activités minute par minute sur Rosyphone.
Mais au moment de partir, catastrophe !
— Batterie faible. Batterie faible. Batterie faible.
— Oh non ! gémit Frida. Pas maintenant !
Elle chercha désespérément une prise, un brin d’herbe électrique, une fleur à énergie solaire… rien. Rosyphone s’éteignit dans un dernier soupir électronique.
Les enfants-insectes la regardèrent, un peu inquiets. Une coccinelle timide leva une patte.
— Et si on faisait sans ?
Frida resta bouche bée. Sans son téléphone ? Elle, la fourmi la plus organisée de la prairie ? Mais après tout, pourquoi pas ?
Elle rangea Rosyphone dans son sac et déclara :
— Aujourd’hui, on improvise !
Les enfants poussèrent des cris de joie. Ils partirent en file indienne, Frida en tête, sa robe rose flottant au vent. Le ruisseau scintillait sous le soleil, les libellules dansaient au-dessus de l’eau, et les grenouilles chantaient comme un orchestre.
Très vite, les enfants inventèrent leurs propres jeux :
Les abeilles faisaient des concours de ricochets avec des graines.
Les coccinelles organisaient une course de bulles de savon.
Les chenilles construisaient des cabanes de mousse.
Et le papillon, qui confondait toujours le haut et le bas, faisait rire tout le monde en volant à l’envers.
Frida, d’abord un peu perdue sans son téléphone, se mit à rire, à courir, à chanter. Sa robe rose virevoltait, son chapeau brillait, et ses antennes frémissaient de joie. Elle improvisait des chansons, inventait des histoires, et encourageait chacun à participer.
À un moment, un petit scarabée glissa sur une feuille et tomba dans le ruisseau. Frida accourut aussitôt, le sortit de l’eau et le couvrit d’un brin d’herbe chaud.
— Tu vois, dit-elle en souriant, pas besoin de Rosyphone pour savoir quoi faire.
Le soir, tout le monde rentra fatigué mais heureux. Les enfants riaient encore, les ailes pleines de poussière dorée. Frida ralluma son téléphone, qui clignota faiblement.
— Bonjour Frida ! Tu as manqué trois rappels, deux alarmes et une notification urgente !
Elle éclata de rire.
— Rosyphone, aujourd’hui, j’ai appris que les plus beaux moments ne se programment pas.
Depuis ce jour, Frida continua d’utiliser son téléphone, mais avec sagesse. Parfois, elle le laissait à la fourmilière pour mieux profiter des rires, des maladresses et des surprises de ses petits protégés.
Et dans la prairie, quand le soleil descend derrière les herbes hautes, on peut encore apercevoir une fourmi en robe rose danser avec des enfants-insectes, pendant qu’un téléphone rose posé sur une pierre fredonne doucement une mélodie de bonheur.